Regardons les faits avant de forger notre opinion ! Petite analyse du livre “Factfulness” de Hans Rosling

Lors de la dernière visio des membres de l’association DIP2 (si vous aussi souhaitez adhérer et participer aux échanges, cela se passe ici) a été présenté le livre de Hans Rosling : “Factulness” (la factualité).

Vous retrouverez ci-dessous un résumé de ce qui a été exposé et discuté.

Préface de Dominique Seux

Le biais de pessimisme, si propre aux Français, se fonde sur le regard que nous portons sur notre environnement et sur le monde, à travers les flux d’information qui nous abreuvent sans cesse. Mais le monde est-il aussi « noir » que les médias nous le présentent ? Hans Rosling veut combattre le négativisme ambiant par la “factualité” (Factfulness) ou, pour être plus précis, de baser notre opinion et donc notre ressenti sur les faits et les chiffres… et rien que cela. Pour nous interpeller, il nous pose des questions pour tester nos connaissances et notre savoir dans différents domaines. Résultat ? Ce n’est pas très brillant, même parmi les élites. Il prouve que « nous avons tous un instinct de négativité ».

Et une « information » digitale accessible à tous, avec les fake news, les contre-vérité et les mensonges, portés parfois par les plus hauts dignitaires de l’Etat, montre l’urgence de se recentrer sur « la vérité par les faits »… car notre cerveau aime à éviter de trop réfléchir et adore prendre des raccourcis « faciles » (voir pour cela “système 1/système 2” de Kahneman par exemple).

Faire le tri entre « ce qui va bien et ce qui va mal » permet de relativiser et de retrouver un certain optimisme dans notre quotidien.

Hans Rosling nous l’affirme : “le monde va mieux que nous ne le pensons” !

Introduction

Hans Rosling nous place tout de suite face à notre ignorance par une série de 13 questions allant du pourcentage de petites filles finissant l’école primaire dans les pays à faible revenu, en passant par le nombre d’enfants de 0 à 15 ans vivants sur terre en 2100, jusqu’au nombre de personnes dans le monde ayant accès à l’électricité.

Et il nous rassure vite : la plupart d’entre nous échouons à répondre juste à ces questions simples, en dehors de celle relative au changement climatique, quel que soit notre niveau d’instruction ou notre position sociale. En fait, nous avons une vision du monde erronée.

Et ce n’est pas seulement un problème d’actualisation de nos données, c’est-à-dire celle du savoir acquis pendant nos études, périmé depuis belle lurette … (note : oui, la Terre n’est pas plate, elle est ronde et elle tourne !) car Hans Rosling a pu constater que même à l’issue de ses conférences au cours desquelles les spectateurs étaient enthousiasmés, « ils retournaient à la vision pessimisme du monde ». Même les experts participant au Forum économique de Davos, en 2015, n’ont pas su répondre correctement à 3 questions, pourtant simples, portant sur la pauvreté, sur la croissance démographique et sur les taux de vaccination dans le monde.

Les médias nous montrent en permanence des images de conflits, de dysfonctionnement et de catastrophes, quand ils n’insistent pas sur le fossé grandissant entre les plus riches et les plus pauvres, ou sur l’épuisement des ressources naturelles. Ils contribuent grandement à façonner notre vision dramatique du monde qui nous entoure … facilitée par le fonctionnement de notre cerveau qui préfère conclure rapidement au lieu de réfléchir.

Hans Rosling propose de lutter contre nos ignorances et leurs conséquences. Car nos choix en dépendent. Il nous assène cette vérité : « le monde n’est pas aussi dramatique qu’il en a l’air ». Selon lui, pratiquer la « factualité » est une thérapie individuelle et sociale, qui permet de prendre de meilleures décisions et de vivre plus sereinement. Il divise son livre en dix grandes tendances humaines qu’il juge comme responsable de notre biais de pessimisme et de notre ignorance du monde réel.

L’instinct du Fossé

Il consiste à diviser le monde en deux catégories : Nord et Sud, Riches et Pauvres (…) . Pour l’auteur, il s’agit là d’un «méga-préjugé », surement le pire de tous. Lorsqu’il pose la question de savoir quel est le niveau de natalité dans le monde, beaucoup scindent le monde entre pays développés (de 1 à 3 enfants par famille) et pays en voie de développement (de 5 à 8 en moyenne) … et classent instinctivement les pays dans ces deux cases. Pourtant, les données statistiques décrivant ces deux ensembles remontent à 1965. Aujourd’hui, 85 % de la population fait partie de la case anciennement appelée « pays développés », 15 % se trouve à mi-chemin et seulement 6% sortent peu à peu du dernier ensemble.

En somme, le fossé n’existe plus entre l’Occident et le reste du monde. « Nous devrions arrêter d’utiliser ce genre de division simpliste ». Selon les données de la Banque mondiale et de l’ONU, 75% des humains vivent dans des pays à revenus « moyens ». Et pourtant, les préjugés ont la vie dure, notamment celui de la catégorisation entre « eux » et « nous », une pensée binaire, un moyen simple et facile de distinguer et de classer. Avec un corollaire « dramaturgique » évident : le bien et le mal, le héros et les méchants, eux contre nous. Ce travers humain est exploité par les journalistes, au quotidien, qui font presque toujours un focus sur la minorité choquante que sur la majorité tranquille … donnant une image trompeuse de la réalité. Leur communication est biaisée. Et l’instinct de fossé est le plus usité.

Pour casser cette approche, contre-productive à plus d’un titre (notamment financier et économique), Hans Rosling propose de diviser le monde en quatre niveaux de revenus :

  • Niveau 1 : de 0 à 2 $ de revenus par jour et par habitant ; concerne 1 milliard de personnes
  • Niveau 2 : de 2 à 8 $ de revenus par jour et par habitant ; concerne 3 milliards de personnes
  • Niveau 3 : de 8 à 32 € de revenus par jour et par habitant ; concerne 2 milliards de personnes
  • Niveau 4 : au-dessus de 32 € de revenus par jour et par habitant ; concerne 1 milliard de personnes

Cette approche, basée sur les faits, bouleverse les schémas mentaux traditionnels. Elle aide à mieux comprendre le monde. Tous aspirent, comme dans un jeu, à passer du premier niveau au dernier niveau … même si en général il faut plusieurs générations pour y arriver. L’Humanité, dans sa prime jeunesse, a commencée au niveau 1 pour tout le monde. Il y a 2 siècles, 85 % des humains étaient encore scotchés au niveau 1, celui de l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, la très grande majorité est au milieu du guet, avec « les mêmes conditions de vie qu’on pouvait avoir en Europe de l’Ouest et aux USA dans les années 50 »

Pour déceler et contrecarrer la dichotomie inhérente à l’instinct de fossé, Hans Rosling propose de toujours chercher où se trouve la majorité (des gens, des faits, des données, de chiffres).

Il y a en tout 10 instincts qui sont décrits par Hans Rosling (instinct du fossé, instinct négatif, de la ligne droite, de la peur, de la taille, de la généralisation, de la destinée, de la perspective unique, du blâme, de l’urgence), et pour chacun de ces instincts, il propose, en conclusion de chaque chapitre, une page avec un ou des conseils permettant de combattre lesdits instincts.

Par ailleurs, sa conclusion générale nous propose de mettre la factualité en pratique au sein de nos écoles, au sein de nos entreprises … mais aussi auprès des journalistes et des hommes politiques.

Conclusion

En conclusion, son livre nous a vraiment enthousiasmé. Il est dans la droite ligne de ce que nous prônons dans l’association DIP2 et dans le cadre de l’Intelligence Personnelle, notamment utiliser la méthodologie de la veille pour identifier les bonnes informations, les faits, puis les analyser de manière la plus neutre possible.

Oui mais… en même temps !

Cependant, dans cette optique, nous avons lors de nos recherches identifié une critique argumentée de l’ouvrage et de l’action de Hans Rosling, rédigée par Paul Boosz. Nous vous en livrons ici quelques remarques, le mieux étant d’aller lire directement son billet (attention, comme indiqué plus bas, nous vous recommandons tout de même de d’abord lire le livre de Hans Rosling puis la critique de Paul Boosz).

Comme nous, dès la première lecture, il a été enthousiasmé ! Et deux ans après, après avoir pris du recul, il nous livre une analyse particulièrement intéressante des biais utilisés par Hans Rosling pour nous présenter « sa » perception du monde idéal.

C’est bien connu, on fait dire ce que l’on veut aux statistiques. Il en est de même pour les chiffres, selon l’angle sous lesquels ils sont présentés et donc perçus. C’est vrai pour la différence de revenus entre les plus riches et les plus pauvres car, depuis 1960, ce sont les pays riches qui ont capté la grande majorité de la richesse produite (l’argent appelle l’argent) : mais l’écart entre une personne pauvre et une personne riche a été, depuis, multiplié par 4. Les graphiques relatifs à la chute de l’extrême pauvreté dans le monde « montrent bien comment le discours dominant peut-être biaisé d’idéologie ».

Un autre erreur évoquée est par exemple le fait que Hans Rosling indique que la qualité de l’air s’améliore car la concentration en dioxyde de soufre y diminue. Or ce n’est pas le cas des particules fines.

C’est vrai aussi pour l’influence du changement climatique sur les migrations humaines en cours et à venir (sécheresses ou inondations, famines). Cela nous renvoie au documentaire « civilisations et climats » sur ARTE (lien toujours disponible à date du 24 juin 2022…) qui nous dit, en introduction : « Certains phénomènes naturels peuvent modifier le cours de l’histoire de l’humanité ». Si l’homme est lui-même, en partie, responsable du dérèglement climatique, les exemples du passé devraient nous ouvrir les yeux sur un futur possible et nous permettre d’y faire face.

Autre exemple, concernant l’impact sur la biodiversité et l’éclairage jeté par Hans Rosling sur les espèces que l’action de l’homme a pu sauver de l’extinction immédiate… C’est vrai que cela ne concerne malheureusement que quelques rares cas.

Par ailleurs, comme l’indique Paul Boozs, il est possible d’être conscient que certaines choses se sont améliorées, tout comme le dit Hans Rosling, mais il est tout autant possible de penser que cela ne va (peut-être) pas durer. C’est le cas en ce qui concerne l’environnement car le passif est tellement lourd qu’il finira par nous rattraper.

A lire l’article de Paul Boozs, on pourrait du coup presqu’avoir envie de jeter le livre de Hans Rosling à la poubelle ! Mais Paul Boozs peut aussi (comme nous tous en fait !) être victime de focus réducteurs, mêmes argumentés et sourcés, dans son appréciation des faits utilisés par Hans Rosling. Notamment car l’expertise permet de porter un diagnostic sur un sujet précis mais elle peut aussi nous inciter à voir les choses dans le sens de ce qu’on sait et que l’on est sûr de savoir, comme tous les experts dans leurs domaines, au lieu de laisser de la place au doute, ce qui est la base de la pensée critique.

Nous vous encourageons à vous procurer le livre, à le lire en premier, puis à lire la critique faite par Paul Boozs et consorts seulement après. Si la vérité est ailleurs, elle est probablement dans un entre-deux pas facile à cerner, et surement propre à chacun !

Le plus important dans tout cela : recherchez les informations, toutes les informations, celles qui vous confortent dans vos préjugés (facile !) et celles qui les bousculent (plus dur !)… les faits pouvant être dans les unes ou dans les autres. Puis comparez et forgez-vous votre propre opinion ! Conservez, en toute occasion, l’esprit critique et ne prenez rien comme « argent comptant ». En résumé, restez le plus possible maître de vous-même !


Image “à la une” et droits d’auteur : “factfulness” (éditions Flammarion) / Hans Rosling. Les autres images sont sourcées en légende.