Et si le bonheur (au travail) passait par la recherche de sens ?

Nous inaugurons aujourd’hui un nouveau type d’articles sur le blog. Nous partagions principalement avec vous, jusqu’à maintenant, notre intérêt pour certains livres qui nous ont paru importants. Mais qualité ne rime pas toujours avec quantité : certaines publications très courtes sont tout aussi impactantes pour marquer les esprits et alimenter la réflexion sur la construction du monde de demain.

C’est le cas de cette interview de Julia De Funès, publié en octobre 2019 sur un site web luxembourgeois (wort.lu). Cet article, au titre provocateur “le bonheur en entreprise est une absurdité“, évoque les failles du management dit “moderne”. Rien de vraiment neuf nous direz-vous mais, sur un ton clair et incisif comme à son habitude, Julia De Funès sait trouver les bons mots pour nous faire part du fond de sa pensée et décrire en quelques minutes un des problèmes majeur de ce XXIe siècle : l’absence de sens.

(Note : les commentaires ci-dessous ne sont pas une synthèse de l’article de Julia De Funès mais des remarques sur le même thème, qui n’engagent que nous).

Bien entendu, quand on parle d’absurdité pour qualifier le bonheur en entreprise, il s’agit ici des moyens mis en place pour l’atteindre : ce n’est parce qu’on aime jouer au baby foot ou manger des fruits frais le matin dans sa vie personnelle, que reproduire cela sur son lieu de travail va permettre d’enclencher le bonheur. Ces actions, mises en place parfois par ce qu’on appelle des “Chief Happiness Officers“, peuvent participer à améliorer le quotidien au travail mais ne sont pas non plus source de “bonheur au travail”. Pour que le travail en soit apporte une satisfaction personnelle, il faut en effet que la personne qui le réalise en comprenne a minima le sens et que ce sens corresponde à ses valeurs propres, ce qui impacte directement sa motivation et entraine la sensation que sa journée a été utile, pour elle-même, pour les autres, voire pour la société au sens large du terme. Divers ouvrages ont d’ailleurs été consacrés à ces hauts-diplômés par exemple qui décident de tout plaquer du jour au lendemain après avoir pris conscience que leur travail au quotidien était complètement dénué de sens (on conseillera par exemple à ce propos “Bullshit Jobs” de David Graeber ou encore “La révolte des premiers de la classe” de Jean-Laurent Cassely).

Concernant ce facteur aggravant que sont les modes de management “modernes”, il est intéressant de relire les travaux de Douglas Mc Gregor et sa théorie de “l’homme X” versus “Y”, qui datent des années 60 mais sont plus que jamais d’actualité. X présuppose que l’Homme n’aime pas travailler, qu’il ne le fera que sous la contrainte, ce qui enclenche le management qui va avec. Le Taylorisme est typique de la théorie X. Le salaire est ici un puissant levier de motivation…  sans pour autant être source du bonheur, encore moins au travail. La théorie Y présuppose, elle, que l’Homme prend du plaisir à travailler tout comme il lui est naturel de s’amuser et se reposer, que le travail est donc utile à son épanouissement, ce qui implique une plus grande autonomie et la prise de responsabilités. Le salaire peut ici jouer un rôle dans la motivation mais il n’est pas le principal facteur. En quelque sorte, on peut retrouver dans cette catégorie l’artisan fier de son art, de ses réalisations et qui ne voit pas le temps passer. Certaines personnes témoignent même atteindre ce fameux état de concentration ultime, dit de “flow” (dont parle Mihaly Csikszentmihalyi) dans leur travail. A notre avis, la recherche de sens joue également un rôle important dans le modèle X. C’est ainsi que l’on trouve toute une nouvelle génération de jeunes diplômés qui refusent d’exercer un métier qui se ferait au détriment de l’avenir de la planète, quitte à perdre sur leur salaire. Car la préservation de la planète fait sens à une bonne partie de cette génération (même si paradoxalement, l’attachement à certaines marques qui polluent ou à changer de smartphone tous les ans pour avoir le dernier à la mode est encore très prégnant (voir par exemple “Des Vents Porteurs” de Thierry Libaert)). Tout cela est à combiner avec le fait que le travail pour les jeunes générations n’est plus, comme le souligne Julia De Funès, une finalité en soi, une source d’accomplissement, mais un moyen pour arriver à un épanouissement, qui prend place alors sous d’autres formes, dans d’autres contextes. Comment motiver au travail alors si ce n’est en retrouvant du sens dans ce qu’on fait ? Le management qui privilégie la théorie Y est une bonne piste à réétudier.

Au sujet de cette faillite du management “moderne”, pour celles et ceux que cela intéresseraient et afin de compléter les propos, nous ne pouvons que vous conseiller de lire les ouvrages de François Dupuy, notamment la trilogie “Lost in Management“, “La faillite de la pensée managériale” et la tout récent “On ne change pas les entreprises par décret“.

Mais nous en avons déjà trop dit, laissons plutôt la parole à Julia De Funès !

Et si l’article vous a plus, nous vous recommandons la lecture de ses deux livres sur des thèmes similaires : “la comédie (in)humaine” et “développement (im)personnel” (ce dernier traitant de l’accomplissement de soi… réellement par soi-même !).

Bonne lecture.


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