“Reinventing Organizations – version illustrée” le livre qui vous invite à repenser le management !

Un livre détonnant

Ce livre est lui-même un résumé illustré du best-seller éponyme de près de 500 pages, “Reinventing Organizations” … ce qui permet à ceux qui n’ont pas vraiment le temps de se plonger dans l’édition initiale d’avoir tout de même accès facilement à ses enseignements (en espérant tout de même vous donner envie de l’acquérir afin de le lire plus en détail). Et pour aller encore plus loin, nous vous proposons un résumé du résumé, tant l’approche du management que nous livre Frédéric Laloux dans son opus ouvre des perspectives très intéressantes.

En France, au-delà de l’entreprise FAVI décrite dans le livre, l’hôpital public de Valencienne a adopté ce type d’organisation interne. Bilan, l’hôpital au delà d’être ultra performant est également… rentable ! Surprenant pour une organisation publique dont ce n’est pas la vocation première, n’est-ce pas ?

Avant de nous plonger dans le livre, laissez-nous vous narrer un paradoxe : avec la digitalisation de la société, nos enfants sont hyper-sollicités. Ils n’ont plus de temps pour s’ennuyer et avouons-le, la plupart des parents les poussent à toujours être occupés… au moins, pendant ce temps-là, ils ont la paix ! Or, l’absence d’occupation chez un enfant est nécessaire et primordiale (voir par exemple ici) : elle lui permet de se poser, de rêver, d’imaginer, de créer. Les périodes d’ennui sont importantes pour son développement cognitif. Or, les parents eux-mêmes cherchent de leur côté à ralentir le rythme infernal de la vie familiale/sociale/professionnelle ! D’où l’explosion des méthodes de développement personnel et de méditation. L’adulte ressent et redécouvre le besoin de faire une pause, de se ressourcer, de se recentrer sur ce qui fait sens pour lui… et sur sa place dans le monde. La logique voudrait que les parents souhaitent la même chose pour leurs enfants…

Ce qui pose forcément question : si nous avons besoin de nous ressourcer pour redonner du sens à notre vie, cela signifie-t-il que notre rapport au travail et à la société est devenu toxique ?

Nous faisons toutes et tous partie d’une organisation (l’homme est un animal social), quelle qu’elle soit et à quelque titre que ce soit. Mais cette organisation est-elle toujours pertinente ?

Alors commençons …

Résumé du livre “Reinventing Organizations – version Illustrée” de Frédéric Laloux

Cartographie synthétique du résumé

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(Note : dans cette carte, nous avons comme sur les précédentes indiqué une légende sur différents points afin de faire des parallèles avec les axes de l’Intelligence Economique : veille (v), management des connaissances (c), sécurité (s) et influence (i). Ces axes ne sont par contre pas forcément détaillés dans le résumé ci-dessous au risque de faire un résumé commenté plus long que le livre d’origine ! Par exemple : le fait que l’apprentissage soit signalé comme permettant de reconfigurer le cerveau est annoté sur notre carte par une icône “management des connaissances”. En effet, tout comme pour le cerveau, l’acquisition de nouvelles connaissances dans l’entreprise permet, lorsque a été mise en place une vraie (= effective) démarche de “knowledge management”, de faire évoluer les pratiques, de reconfigurer (en quelques sorte) le fonctionnement de l’entreprise. Autre exemple : un stress permanent chez l’Homme entraine, via la surproduction d’adrénaline notamment, une augmentation du risque d’attaques cardiaque ou cérébrale. Nous avons signalé ce “process” avec la mention “sécurité” car le parallèle avec l’entreprise nous semble évident : un surplus d’informations et de rumeurs non filtrées qui viendraient à occuper la quasi-totalité du temps de réflexion d’un département, sous forme de crise permanente, au dépend de son activité principale, etc. Si certains parallèles signalés ne vous semblent pas évident, n’hésitez pas à nous contacter pour en discuter ou encore mieux à adhérer à notre association DIP2 pour échanger avec nos autres membres. Petit à petit, nous enrichirons nos pages et publications sur l’Intelligence Personnelle et Professionnelle avec des exemples déclinés du vivant.)

L’auteur

Photo de Frédéric LALOUX
Frédéric Laloux – Source image et droits d’auteurs : www.organisationslibérées.fr

Frédéric Laloux, de nationalité belge, a suivi un cursus d’ingénieur commercial à Bruxelles. Il est titulaire d’un MBA de l’INSEAD (Institut européen d’administration des affaires). Il est aussi diplômé de l’école de coaching Newfield Network (Colorado). Après quelques années dans un cabinet de conseil en stratégie (partenaire associé chez McKinsey), il a fait choix de devenir indépendant et coach en entreprise, pour partager le fruit de ses recherches sur les modèles organisationnels émergents. Aujourd’hui, il conseille les dirigeants qui le sollicitent sur la voix d’une transformation vers un univers le plus proche possible de l’autogouvernance.

Note liminaire

Ce livre est à la portée de tous. Certes, les dirigeants y trouverons certainement un intérêt pour eux-mêmes et pour leur organisation. Mais tout collaborateur, tout salarié, tout bénévole, peuvent y trouver des réponses… s’ils s’interrogent sur le sens de leur vie professionnelle et sociale !

Bonne lecture …

INTRODUCTION

Ça ne se lit pas comme un livre de management”

Ce livre transmet l’espoir d’un monde du travail meilleur en soi, porteur de sens et d’humanité. Car disons-le tout net : beaucoup d’entreprises et d’organisations sont devenues des lieux où s’affrontent les égos, des terrains ouverts aux batailles d’influences internes, contreproductives, consommatrices de temps et particulièrement épuisantes. Posons-nous un instant : à quoi cela sert-il ? cela a-t-il du sens ?

(note : voir par exemple le dernier numéro de Harvard Business Review France et son article sur la raison d’être, même s’il s’agit ici plutôt de fournir aux managers des arguments à avancer pour donner une raison d’être (donc de travailler) aux salariés et pas forcément une réflexion sur la vraie raison d’être des entreprises ou de son travail en général. Voir plutôt à ce moment là l’excellent “Bullshit Jobs” de David Graeber, “Eloge du carburateur” de Matthew Crawford  ou encore le dossier “100 idées pour un nouveau départ” du magazine Management.)

Ce livre a vocation à aborder le management par l’angle de ce qui peut être fait, tout en balayant ce qui cloche. Tout cela avec modestie et simplicité… sans prétention aucune ! Il est le fruit de trois ans d’observation de plusieurs entreprises novatrices en matière de management, avec comme seuls critères qu’elles aient 5 ans d’existence et 100 salariés au minimum… et qu’elles soient déjà engagées dans une approche novatrice du management !

PARTIE I

“Notre façon de diriger les organisations est à bout de souffle”

1.1) Le monde ne tourne plus rond

Quelque chose cloche dans le monde de l’entreprise, des organisations, des associations et des services publics :

  • Les salariés/employés/collaborateurs se désengagent et ne s’impliquent plus. Ils font ce qu’on leur demande… sans âme mais avec des états d’âme !
  • Les dirigeants sont épuisés par le rythme de leurs obligations quotidiennes et par la course au toujours plus.
  • Les clients ne placent plus leur confiance totale dans une entreprise/organisation et sont d’esprit volage et butineur, passant d’un concurrent à un autre.
  • La planète souffre de notre façon de créer, de produire, de consommer et de vivre… nous renvoyant à la figure nos excès par des catastrophes naturelles de plus en plus violentes (note : voir notamment sur ce sujet “STOP” de Laurent de Bartillat et Simon Retallak, un peu daté vis à vis du moment de sa publication mais malheureusement toujours d’actualité dans les faits !)

Mais il y a de l’espoir car nous vivons une transformation. L’agonie et la fin de notre “monde social” annonce la naissance d’un nouveau système (social, de management, de qualité de vie).

Car l’humanité ne suit pas une courbe ascendante linéaire. Non, elle avance toujours par bonds successifs (époque des chasseurs/cueilleurs, puis époque agricole, âge du fer puis du bronze, âge industriel, …). Le philosophe Ken Wilber a attribué des couleurs à chacun de ces stades et Frédéric Laloux s’en est inspiré dans son livre initial.

(note : cette idée de progression par paliers successifs se rencontre dans de nombreux domaines comme le sport, l’éducation, la pratique d’un instrument de musique, etc. sur le principe du “plus j’en sais, moins j’en sais” qui fait qu’à chaque nouveau niveau atteint, un gros travail de maitrise est à fournir où on peut avoir l’impression de stagner, voire régresser, mais dans lequel on accumule de la connaissance qui servira à atteindre le niveau supérieur).

Chaque nouvelle marche est une révolution touchant plusieurs domaines : progrès technique et scientifique, production alimentaire, forme de gouvernement, rapport à la spiritualité. Notre façon de collaborer, notre organisation même, évolue de même pour être plus performante que celle du monde précédent pour affronter de nouveaux défis.

Mais l’enfantement se fait dans la douleur car il est toujours très difficile à la majorité de la société “de changer” et de rompre avec le modèle social dominant. Cela est donc vrai pour le management des entreprises et des organisations : imaginer un modèle faisant la part belle à la quête permanente de sens dans l’action va bousculer beaucoup d’habitude et de certitudes… voire susciter nombre de réticences. Quoi qu’il en soit, cela ne signifie pas que les uns sont meilleurs que les autres, cela signifie seulement qu’ils acquièrent la capacité d’avoir “des points de vue plus complexes”.

1.2) Le stade impulsif OU la vision Rouge du monde

Après avoir vécu en clans et par petits groupes, sans réelle hiérarchie ni répartition des tâches, l’humanité a grimpé sur la marche ROUGE, celle du Stade Impulsif, il y a environ 10.000 ans. La réunion de plusieurs milliers de personnes a entraîné l’émergence de la fonction de Chef, chargée de faire respecter l’ordre social. Modèle impulsif et égocentrique, l’ordre social est maintenu par le haut et par la force.

1.2.1) Une organisation Rouge peut être assimilée à une meute :

Le ciment social est la peur du chef et la loyauté.

Les membres sont inféodés à un chef “tout puissant”, vis-à-vis duquel une loyauté sans faille est exigée. Lorsque ce chef faiblit, il ne tarde pas à être renversé et remplacé par plus fort que lui. Du fait de son fonctionnement, cette organisation vit très mal tout changement majeur mais sait réagir efficacement lorsqu’elle est attaquée.

1.2.2) Le modèle Rouge subsiste dans le monde contemporain :

Si le fonctionnement de TPE dont le président-fondateur contrôle tout “sans partage” est un exemple criant, ce modèle concerne surtout la criminalité organisée, de type Mafia ou gang de quartier.

1.2.3) L’apport du modèle Rouge aux sociétés humaines :

Pour affronter les problèmes internes générés par l’augmentation des populations humaines, le modèle Rouge a mis en place la division du travail et l’autorité hiérarchique.

1.3) Le stade conformiste OU la vision Ambre du monde

Vers 4000 ans avant JC, sur “la terre entre les fleuves” (Mésopotamie) et sur les berges du Nil, la civilisation se concentre dans les villes et adopte un modèle de classes et de castes rigides concomitamment à la naissance de l’écriture, de l’administration et de la religion codifiée.

1.3.1) Une organisation Ambre s’appuie sur l’autodiscipline de ses membres

Le ciment social est la culpabilité et la honte.

Les membres se conforment à la norme sociale qui se réfère à une mythologie supérieure faisant la distinction entre le bien et le mal. Pour être intégré, il faut penser et faire comme tout le monde.

1.3.2) Le modèle Ambre concerne un maximum de gens… même aujourd’hui

Le conformisme et la certitude sont le squelette de la pensée Ambre. Les forces armées et les religions disposant d’une hiérarchie cléricale en sont le modèle type, chacun de leurs membres vivant dans une organisation stable, rassurante et prévisible. Il en est de même de toute administration publique, comme de l’éducation nationale ou les universités : les changements internes sont longs, très longs car “il n’y a qu’une seule façon correcte de faire les choses” !

1.3.3) L’apport du modèle Ambre aux sociétés humaines

Le savoir et la connaissance sont transmissibles d’un individu à un autre, certes dans le cercle fermé de sa caste, mais cela rend les processus stables et reproductibles dans le temps.

La hiérarchie est la base de l’organisation Ambre, où chacun connait son poste et s’identifie à sa fonction. Tout cela est gage d’une grande stabilité sociale.

1.4) Le stade de la réussite OU la vision Orange du monde

Elle apparait avec la révolution industrielle et scientifique et avec la compréhension que le monde n’est pas immuablement figé dans un système préétabli. En réalité, le monde est complexe et chacun peut s’initier à sa compréhension et aux opportunités qu’il offre : “chacun peut être ce qu’il veut être et réussir ce à quoi il s’applique“. En gros, le stade Orange remet en cause les dogmes sociaux du modèle Ambre.

1.4.1) Une organisation Orange s’appuie à la fois sur l’individualisme et sur la déshumanisation

Le ciment social est la liberté de penser le monde différemment des dogmes et contrats sociaux.

La démocratie a succédé à la féodalité, la frontière des certitudes recule sans cesse car constamment remises en question.

1.4.2) Le modèle Orange impacte toute la société contemporaine des pays industrialisés

Les écoles de commerce enseignent essentiellement ce modèle qui imprègne toutes les grandes entreprises : innover sans cesse et faire du profit sont leur leitmotiv. A ce stade, l’entreprise devient une machine où chaque salarié est un rouage. Si le rouage grippe, il faut l’huiler. Si le rouage lâche, il faut le changer… comme un pion sur un échiquier. Ce type d’organisation ressemble à une mécanique sans âme.

1.4.3) L’apport du modèle Orange aux sociétés humaines

Le progrès et l’innovation permanente sont l’ADN des organisations Oranges car il faut aller plus vite, plus loin et plus rapidement que ses concurrents pour exister. Le commandement participatif par objectifs constitue l’ossature du management des organisations Oranges. Et pour motiver l’exécutant à remplir ses objectifs, des leviers de performance, des incitations et des récompenses ont été instituées. Après le bâton créé au stade Ambre, le stade Orange invente la carotte. Le monde des affaires et le monde politique évoluent dans l’univers Orange.

La promotion aux mérites caractérise l’évolution sociale dans les organisations Oranges : la méritocratie favorise les plus intelligents pour accéder aux postes hiérarchiques supérieurs. La qualité du cerveau a remplacé la couleur du sang. Avec son triple corollaire :

  • la croissance débridée basée sur l’innovation permanente qui affecte l’environnement et les écosystèmes vitaux pour la planète;
  • la mobilité et l’instabilité professionnelle qui affecte les hommes et les femmes;
  • l’argent comme seul moyen de reconnaissance sociale, le matérialisme comme seul totem… et l’absence de sens comme seul horizon.

1.5) Le stade pluraliste OU la vision Verte du monde

Cette approche sociale est née avec les Lumières : “tout le monde a la même valeur et toute voix doit être écoutée“. L’abolition de l’esclavage, l’émancipation de la femme et la liberté de croire ou de ne pas croire en sont les précurseurs. Le stade pluraliste a commencé à toucher les organisations dans les années 60-70.

1.5.1) Une organisation Verte privilégie des “relations étroites et harmonieuses”

Dans ces groupes, les salariés/collaborateurs estiment que le bonheur individuel participe à la réussite de l’organisation. Chacun est écouté et tous vivent l’organisation comme une grande famille.

1.5.2) Le modèle Vert se rencontre dans quelques ilots bien définis

Les associations de loi 1901, les ONG (Organisations Non Gouvernementales) et certaines entreprises ayant adopté le management “soft” fonctionnement (parfois) sur le modèle Vert. Car lorsque la superficie de l’organisation dépasse les possibilités d’une participation générale au processus de décision, la hiérarchie Orange subsiste et s’impose. De même, si le consensus est toujours recherché, même des petites structures peuvent se retrouver bloquées dans leur fonctionnement. In fine, il s’agit d’abandonner une partie du pouvoir décisionnel aux membres… tout en gardant la main pour trancher la décision finale avec autorité. Il y a un fossé entre le rêve et la réalité.

1.5.3) L’apport du modèle Vert aux sociétés humaines

Comme le principe de l’autorité hiérarchique est minimisé au maximum, une organisation Verte privilégie l’autonomisation de ses membres, permettant de laisser prendre les décisions par la base, la direction et l’encadrement étant à sa disposition pour faire appliquer ses décisions, impulser et motiver. Une charte des valeurs remplace la politique d’entreprise et le règlement intérieur. L’actionnaire n’est plus prioritaire pour l’entreprise qui affirme aussi sa responsabilité sociale, sociétale et environnementale.

Dans la vraie vie, tout n’est pas blanc ou noir… ou strictement Rouge, Ambre, Orange ou Vert. Les entreprises et les organisations peuvent fonctionner selon une tendance générale (Rouge, ou Ambre, ou Orange ou Verte), tout en adoptant divers autres de ces modes de management selon le métier, la fonction ou la mission considérée.

PARTIE II

“Le stade évolutif OU la vision Opale du monde”

Cette approche du management est naissante et en devenir. Dans ce stade de conscience, l’organisation doit permettre de développer nos talents, notre potentiel, “notre nature véritable” … avec les autres. Elle fait fi des présupposés sociaux et redonne du sens à nos actions.

Nelson Mandela disait : “Je n’échoue jamais, soit je gagne, soit j’apprends“. Et bien, au stade Opale, erreurs et obstacles ne provoquent plus de sentiments négatifs, tant vis-à-vis de soi que des autres. Ils sont vus comme des opportunités d’amélioration. L’égo, qui conditionne nos vies et notre rapport à l’autre, basé sur la peur (de manquer, du regard des autres, de ne pas remplir ses objectifs) et le contrôle permanent, laisse la place à la confiance dans les autres et dans la vie, en faisant appel à son ressenti intérieur.

Au stade Opale, les questions que l’on se pose sont plutôt du genre “suis-je en accord avec mes valeurs ?” ou “mon action est-elle juste ?”

2.1) Il était une fois …

Aux Pays-Bas, les infirmières de quartier sont une institution depuis le XVIII siècle. A l’ère moderne, les coûts de ce système ont été pris en charge par la sécurité sociale. Dans les années 80, une organisation Orange leur fut appliquée, gage d’une meilleure dépense publique. Avec le temps, chaque infirmière ne fût plus affectée à des patients bien désignés et dut rentabiliser le temps passé en leur présence selon un cahier des charges bien précis. Conséquence : beaucoup de patients, surtout âgés, et d’infirmières détestaient cette mécanisation inhumaine des soins à domicile.

En 2006, Jos de Blok, infirmier, créé Buurtzorg, entreprise basée sur l’approche qu’un groupe d’une douzaine d’infirmières, sans hiérarchie mais partageant les tâches de gestion, pouvant répondre au bonheur des patients qui leur étaient attribués, comme à celui des soignants. Ce principe repose sur la confiance accordée aux infirmières pour s’autogérer et sur une vision nouvelle des soins infirmiers qui ne sont plus des pourvoyeurs de remèdes mais des accompagnateurs permettant aux patients de “mener une vie aussi riche et autonome que possible“. L’infirmier(ère) noue des liens privilégiés avec ses patients, prenant le temps d’échanger, de comprendre et de favoriser les réseaux d’entraide et de soutien leur permettant de mieux vivre (voisin, famille, amis).

Gage de réussite, aujourd’hui, les deux tiers des soignants à domicile du pays (9000 personnes) ont rejoint Buurtzorg (note : plus de 10 000 à date de publication de ce résumé – source Buurtzorg)… qui ne compte que 28 collaborateurs au siège et pour l’ensemble de l’entreprise. Et parce que les soignants aident leurs patients à rester autonomes, les connaissent bien et anticipent les problèmes de santé, Buurtzorg utilise moins de 40% des heures prescrites par les médecins, réduit de 30% des admissions aux urgences et “fait économiser des millions d’euros par an à la sécurité sociale“.

Et Buurtzorg n’est pas la seule entreprise à avoir testé tout ou partie des principes et processus du mode Opale : RHD (USA), Sun Hydraulics, Heiligenfeld, Morning Star, Holacracy, FAVI, ESBZ, Patagonia, AES, BSO/Origin, Sounds True … qu’elles soient à but lucratif ou non lucratif, dans l’industrie ou l’enseignement, cela fonctionne aussi ! Si dans la vision Orange, l’organisation est une machine, et dans la vision Verte, une famille, dans la vision Opale l’organisation est un Organisme Vivant, un écosystème qui bouleverse le management actuel par l’autogouvernance (autorité distribuée et intelligence collective), par la plénitude de soi (en tombant les masques professionnels) et par la raison d’être évolutive (accompagner le mouvement plutôt que de prévoir et contraindre).

2.2)  L’autogouvernance

Dans une organisation, un “système d’autorité distribuée” pourrait être plus efficient qu’une “pyramide hiérarchique institutionnelle”. En effet, plus l’organisation est complexe et plus la chaîne de commandement pyramidale montre ses limites. Le besoin de structuration et de coordination ne signifie pas forcément que tout dépende de chefs “tout puissant”.

Que constate-t-on de nos jours dans les entreprises d’importance ? L’encadrement est épuisé car la nécessité de tout contrôler le vide de son énergie et de sa capacité à prendre du recul. Passage obligé, il leur faut trancher une question avant que la prochaine ne se présente. C’est une nécessité pour ne pas bloquer l’organisation. En fait, le dysfonctionnement hiérarchique pyramidal des organisations complexes est avant tout structurel.

Or qu’observe-t-on ? Que les systèmes complexes (l’économie mondiale, une nuée d’oiseaux, une organisme vivant, une forêt, etc.) fonctionnent “naturellement” lorsque l’autorité est distribuée. Buurtzorg s’est donc approprié l’autogouvernance comme règle de gouvernance.

Mais le concept n’est pas simple à faire comprendre, tant de malentendus existent :

  • l’autogouvernance n’est pas l’anarchie : la coordination permet à chacun de jouer son rôle, de prendre des décisions collectives;
  • l’autogouvernance n’est pas le consensus : peu de réunions et toutes plus simples et plus efficaces;
  • l’autogouvernance n’est pas un concept expérimental : des entreprises l’ont adopté, certaines depuis des dizaines d’années et elles ont mieux résisté aux crises que les organisations conventionnelles (W.L.Gore, Morning Star,…).

D’autant que la suppression de la hiérarchie “d’un coup” et sans préparation, dans une organisation qui n’a connu que le mode de fonctionnement Orange jusqu’à présent, conduit généralement au chaos. En fait, l’autogouvernance impose la mise à niveau de tous les aspects et secteurs de la gouvernance. Et quoi de mieux que de s’inspirer de ce qui a déjà été tenté par d’autres ?

2.2.1) Quid de la Structure de l’Organisation ?

Buurtzorg s’appuie sur des cellules autonomes de 10 à 12 soignants infirmiers et infirmières, sans chef désigné mais au sein desquelles toutes les tâches de management sont distribuées entre eux/elles (recrutement, planning, …). Un coach régional, qui n’a pas de pouvoir hiérarchique, est à la disposition d’une cinquantaine de cellules pour les aider, sans qu’il ne soit question d’atteindre des objectifs. Et le siège, qui ne compte que 28 personnes, assure essentiellement des tâches administratives, sans pouvoir de décision ou de contrainte sur les cellules autonomes.

FAVI, fonderie industrielle de Picardie, est une des premières “entreprises libérées” de l’histoire en France. Créée en 1957, sur un format hiérarchique classique, elle a adopté le système à autorité distribuée en 1983. Son nouveau DG, M. Jean-François Zobrist, a divisé l’entreprise en “13 mini-usines autonomes, dédiées pour la plupart à un client spécifique“, ainsi que quelques équipes “amont” (fonderie, réparation des moules) et “soutien” (ingénierie, vente). La qualité de ses productions est reconnue, tout autant que sa réactivité. De fait, elle contrôle 50% de son marché et réalise une marge confortable qui permet aux salariés d’être très bien payés. FAVI ne connait aucun “turn-over” structurel. Chacun est heureux d’y travailler. Pourquoi ? Comment ? Parce que le processus entre la commande et la production a été simplifié : chaque semaine, le commercial fait part de ses commandes directement aux ouvriers. Ils établissent ensemble le planning de production et d’expédition… et sont suffisamment réactifs pour trouver un process permettant de s’aligner sur la concurrence si elle est moins disante. Il n’y a ni chef, ni objectif, seulement le plaisir partagé de faire un travail de qualité et qui satisfait le client. Fini le temps où le commercial communiquait ses commandes à l’administration des ventes pour qu’elle les rentre dans l’informatique, permettant de planifier la production, sans que les ouvriers, simples exécutants ne sachent “pourquoi” ils effectuaient cette tâche.

2.2.2) La sollicitation d’avis

Dans l’autogouvernance, la décision est collective car les avis des uns et des autres sont sollicités : ceux qui sont experts sur la question et ceux que la décision va impacter. Chacun, porteur d’un projet, peut décider dans tous domaines dès lors que les autres sont consultés et que leur avis est sérieusement pris en compte. Comme chacun se retrouve tantôt décideur, tantôt consulté, tous apportent de la considération aux avis des autres. La décision finale s’en trouve simplifiée. Pour autant, plus la décision est importante de conséquences, plus le nombre d’avis à solliciter augmente… et si elle risque d’impacter toute l’organisation, l’avis de tous est nécessaire. Cela représente-t-il un frein ? Nullement ! Buurtzoorg utilise le blog de l’organisation pour soumettre une nouvelle idée à tous les soignants lorsque cela impacte toute l’entreprise, avec sollicitation d’avis en retour. Si l’idée est acceptée, elle est validée en 24 heures. Si elle génère un désaccord, soit une nouvelle proposition intègre les avis formulés, soit un groupe d’étude est formé pour élaborer une proposition acceptable par toutes et tous. Ce vecteur de communication est ouvert. Chacun s’exprime librement, mais avec un dialogue constructif et respectueux de l’opinion des autres, que l’on soit d’accord ou pas.

Comparée au circuit traditionnel de décision dans une organisation Orange, la sollicitation d’avis semble plus efficace, génératrice de gain de temps et porteuse de meilleures décisions, empreintes d’intelligence collective.

Corolaire de l’autogouvernance : les entreprises et organisations qui l’ont adopté ont abandonné les primes et le salaire variable… en même temps que les objectifs individuels. En fait, la plupart optent pour le reversement d’une partie des bénéfices entre tous.

Quant à la fixation du salaire et aux augmentations correspondantes, l’entreprise californienne Morning Star apporte une réponse collégiale : chacun, une fois par an, exprime par écrit l’augmentation à laquelle il estime avoir droit (les ¾ se contentent du rattrapage de l’inflation, ¼ demande une augmentation). Une commission, à laquelle participent les volontaires de l’entreprise, étudie les demandes et, sans avoir le pouvoir de trancher, propose de valider, d’augmenter ou de diminuer la requête… tout en argumentant en équité.

2.2.3) La gestion de la performance

En mode Orange, le chef maintient la pression pour que ses subordonnés produisent toujours plus et plus vite. Cette approche hiérarchique finit par inhiber toute initiative et toute motivation chez les collaborateurs… qui se contentent de faire ce qu’on leur demande, sans goût ni intérêt pour la tâche à accomplir.

A contrario, Frédéric Laloux identifie trois ressorts du travail dans les entreprises Opales :

  • la motivation intrinsèque, qui est naturelle si rien ne vient y faire obstacle ;
  • l’émulation des collègues, qui fait la cohésion du groupe ;
  • les exigences du marché, qui mobilisent les énergies lorsque le sens de l’engagement est connu de tous.

En fait, s’il n’y a pas d’autorité hiérarchique en autogouvernance, il existe tout de même des hiérarchies naturelles, liées aux compétences et qualités individuelles des uns et des autres, pour lesquelles chacun est sollicité à tour de rôle comme “le sachant”, permettant à chacun d’être lui-même.

2.3) La plénitude de soi

Dans la vie courante, au contact des autres, il est facile de porter un masque (note : aucun lien avec la Covid-19 !), notamment dans les milieux professionnels, pour ne jamais montrer son moi véritable : ce serait une preuve de faiblesse, surtout dans une organisation Orange. Au-delà, le port d’un uniforme manifeste une identité, voire une autorité, qui est celle de l’organisation à laquelle on appartient. La singularité n’y a pas sa place, les états d’âmes non plus. Pas plus que toute notion émotionnelle, intuitive ou spirituelle. Seul l’égo et la rationalité s’expriment… pour ne pas se mettre en danger !

En fait, Frédéric Laloux avance que l’absence de toutes ces parts de nous-même au travail explique que de nombreuses organisations semblent “sans vie” ! Or quand la hiérarchie disparait, les causes inhibant la personnalité de chacun disparaissent… dès lors que chacun se sent en sécurité au sein d’une communauté. Avec le temps, chacun grandit au contact de l’autre dans le cadre de son activité professionnelle.

(note : ces entreprises ont également leurs biais et ne sont pas forcément toujours des modèles en matière de management, mais d’un point de vue motivation, il est possible que de laisser exprimer son identité par son look ou la décoration personnalisé de son bureau dans les startups ou les géants du web comme Google, Facebook, etc. joue un rôle important. Cela ne peut, ceci dit, se faire que dans un contexte où tout le monde accepte les différences des autres, voire les identifies comme des qualités).

Lorsque le lieu de travail accepte la présence d’animaux de compagnie (Société Sounds True – Colorado – USA) ou les enfants des salariés (Société Patagonia – Californie – USA), les relations entre collègues changent pour devenir plus “humaines”, plus “sages”. Le monde Opale réinvente le fonctionnement actuel pour permettre à chacun d’être pleinement lui-même.

2.3.1) Créer un espace protecteur

Pour être soi-même et donc s’ouvrir aux autres, pour partager ses doutes et ses envies, il faut être assuré de pouvoir le faire sans avoir peur d’être ridicule ou de susciter des critiques voire du rejet. Cela passe par la prise de conscience individuelle du pouvoir, positif ou négatif, des mots et des actes.

Une charte, qui détaille les comportements à bannir et ceux à promouvoir, peut servir de référence commune au groupe. Elle reprend souvent les valeurs d’intégrité, de respect et d’ouverture prônées par les organisation Vertes, et invite ses membres à les intérioriser et à les mettre en pratique.

2.3.2) Créer un espace de recueillement

Plusieurs des entreprises étudiées par Frédéric Laloux disposent d’un espace dédié au silence. Qu’il soit ou non complété par des moments de méditation, de yoga, de pratique de la pleine conscience ou autre activité qui permet de reposer son mental. D’autres poussent l’exercice jusqu’à instaurer des moments de pratiques collectives qui développent le sentiment d’appartenance.

Les cliniques psychiatriques de la Société Heiligenfeld en Allemagne, privilégient ces moments pour ses salariés (30 minutes de méditation quotidienne) et va jusqu’à organiser, chaque trimestre, une “journée de pleine conscience” à laquelle participent les salariés et les patients. En outre, 75 minutes d’introspection collective sont organisées une fois par semaine au cours desquelles un sujet d’actualité est abordé, et où chacun, par petit groupe, est invité à y réfléchir et à s’exprimer. Sujet après sujet, l’entreprise progresse… tout en réaffirmant ses valeurs.

2.3.3) Invitation à se raconter

Pour dépasser le superficiel des relations professionnelles et révéler d’avantage qui nous sommes, la pratique de la narration semble apporter quelques bienfaits individuels et collectifs, tant pour celui qui parle, que pour celui qui écoute ! Lorsque le moment est sacralisé, il permet à tous de vivre l’expérience d’être entendu et respecté, et contribue à un véritable sentiment de communauté.

L’auteur cite les exemples de l’association Center For Courage & Renewal, qui aide les personnes détentrice d’une autorité à concilier leur rôle et leur âme, et de l’établissement scolaire ESBZ (collège et lycée) de Berlin, au sein duquel les élèves et les professeurs sont largement autonomes.

2.3.4) Repenser les réunions

Dans un monde Opale, chacun peut exprimer ce en quoi il croit sans que l’égo domine les échanges. Les échanges sont authentiques tout en étant emplis d’intégrité. Que ce soit chez Buurtzorg, qui semble s’être inspirée du processus prôné par Holacracy, chez Sounds True, qui débute toutes ses réunions par un moment de silence collectif, ou chez FAVI, qui les commence lui par un rituel de remerciement, l’égo s’efface devant l’entreprise. Chez Heiligenfeld, l’un des participants se porte volontaire pour tenir les cymbales, qu’il fait résonner lorsqu’il sent que c’est l’égo qui parle chez l’un des orateurs. Le silence qui s’en suit permet à chacun de réfléchir à la tournure que prenait la réunion… et de la remettre sur les rails pour le bien collectif.

2.3.5) Repenser le rapport Temps/Travail

Les grosses organisations pyramidales utilisent souvent la pointeuse et le temps de travail prime tout le reste… que le travail soit bien fait ou non, voire qu’il y ait du travail ou pas. Ce qui compte, c’est le temps passé dans l’organisation.

Dans les organisations Opales, la souplesse est la règle au sein des petites équipes, dès lors que les engagements sont tenus. Cela repose sur le soutien mutuel. Les changements d’horaires de dernière minute sont beaucoup plus faciles à gérer et les périodes consacrées au temps de travail, individuel ou par équipes, beaucoup moins figées dans le marbre… dès lors que le travail est fait !

2.3.6) Repenser les entretiens d’évaluation

Peur, Mensonges, Jeu d’acteur… ces rendez-vous annuels ne sont pas synonymes de spontanéité, ni le reflet de vraies aspirations. Ces tête-à-tête, qui conditionnent la promotion, le salaire, les projets, ressemblent à une scène de théâtre.

Chez Sounds True, après que le salarié ait réfléchi à ce qu’il a réalisé et ce à quoi il aspire, les collaborateurs de son groupe l’entoure et lui expriment, à tour de rôle, la réponse à deux questions : “qu’est-ce que travailler avec toi m’apporte de plus précieux ?” et “quel est le domaine dans lequel je perçois que tu pourrais changer ou grandir ?”. Un autre collaborateur note les réponses sur une feuille, qu’il remet à l’intéressé à l’issue. Puis, après un temps de réflexion, un nouveau face-à-face avec un collègue permet de faire le point sur ce que l’intéressé a retenu des échanges, ce qu’il a appris, ce à quoi il va faire attention et ce vers quoi il va se diriger demain.

2.4) La raison d’être Evolutive

La peur, socle de l’égo, fait que chaque membre d’une organisation “traditionnelle” perçoit le monde qui entoure son organisation comme dangereux, empli de concurrents ou gens mal intentionnés qui veulent les dépouiller et prendre leur place. Pour survivre, il faut tout faire pour remporter des marchés et accroître les bénéfices. Lorsqu’on a le nez dans le guidon, la raison d’être de l’entreprise passe à la trappe. Et cela touche même les administrations qui s’écharpent entre-elles pour obtenir plus de budget ou plus de reconnaissance.

Dans un monde Opale, on combat la primauté de l’égo par la recherche du Sens et de la Raison d’être de l’organisation, tant individuels que collectifs. Si la raison d’être est noble, elle va jusqu’à annihiler la notion de concurrence puisque tous ceux qui concourent à cette raison sont des amis ou des alliés. Buurtzorg l’a fait en publiant sa méthodologie, de manière très détaillée, et en la diffusant à ses concurrents. Comme sa raison d’être est que les patients soient plus autonomes et heureux, sa part de marché l’importe peu.

(note : ce type d’action fait poser de vraies questions en matière d’Intelligence Economique où l’on tente normalement de protéger au maximum ses connaissances… mais n’est finalement qu’une nouvelle application des philosophies open-source où le code des logiciels est disponible à tous, ce qui n’empêche pas les sociétés à l’origine des premières briques ou qui exploitent le logiciel, d’être viables et concurrentielles. Comme nous a confié un collègue dirigeant une startup en France : “je préfère mettre toute mon énergie dans l’innovation et pas dans la sécurité car d’une part cela me permet d’avoir toujours une longueur d’avance sur les autres, d’autre part, si mes concurrents cherchaient à savoir ce que je fais et comment je le fais, ils finiraient toujours pas le savoir…” ! Nous pensons de notre côté qu’il y a un juste équilibre à adopter entre les deux).

Mais la raison d’être évolutive va encore au-delà de la noble mission. Si dans l’organisation Orange, le management doit fixer un cap et maîtriser les moyens d’y parvenir, les fondateurs des organisations Opale se contentent d’observer et d’écouter, et d’accompagner le mouvement dans la direction choisie. Au lieu d’être vécue comme une machine, l’organisation est perçue comme un organisme vivant, avec son énergie propre, s’adaptant sans cesse et se gardant de l’illusion de maîtriser la situation… en fait, cela se fait naturellement, par le “lâcher prise”.

Par ailleurs, si le management n’est pas lui-même convaincu dans son fort intérieur du bien-fondé des pratiques de l’organisation Opale, ces dernières paraîtront artificielles et conduiront immanquablement à l’échec. Nous en avons vu déjà plusieurs, mais il y en a d’autres, tout aussi importantes.

2.4.1) La stratégie d’entreprise

Une citation de la société FAVI (vraisemblablement de J.F. Zobrist), tirée du livre : “les entreprises conventionnelles regardent 5 ans en avant et font des plans d’action pour l’année suivante. Nous, nous essayons de faire comme les paysans : regarder 20 ans en avant et ne pas prévoir plus loin que le lendemain“. En fait, de nombreux process de management deviennent inutiles. Notamment le sacro-saint plan stratégique. Chez Buurtzorg, une nouvelle idée n’est pas imposée : elle est suggérée et l’avis de tous est sollicité. La dynamique de l’organisation fait le reste.

Le but n’est pas de donner le même pouvoir à tous, mais de donner du pouvoir à chacun“. Toutefois, il n’est pas facile de se débarrasser des vieilles habitudes. Aussi plusieurs méthodes existent comme la théorie U d’Otto Scharmer, la démarche appréciative, l’open space (est-il utile de donner un lien web ?!) ou bien d’autres encore.

En fait, l’approche Opale n’enterre pas la réflexion stratégique, qui doit forcément perdurer en fonction du contexte. Elle la relativise, car rien ne doit être graver dans le marbre, rien n’est acquis : la capacité de réorientation doit toujours rester à l’esprit.

2.4.2) Le budget

Discuter des prévisions de chiffre d’affaire, de dépenses et de bénéfices pour l’exercice à venir est une perte de temps stérile. Une autre citation de la société FAVI : “notre objectif est de faire du profit sans savoir comment, plutôt que de perdre de l’argent en sachant exactement pourquoi !“. Les organisations Opale s’en passent ou se contentent d’un budget très sommaire pour avancer. Cela supprime de facto nombre de réunions au cours desquelles on doit expliquer pourquoi on n’a pas réalisé ses objectifs… qui sont souvent surestimés et inatteignables, générateurs de stress et contre-productifs.

Si l’environnement du travail est stimulant, que vous pouvez prendre des décisions, que vous êtes vous-même et que vous servez une cause noble, il n’y a pas besoin de fixer des objectifs.

2.4.3) Gestion du changement

C’est une problématique inhérente aux organisations Orange puisque tout y est structuré de manière rigide. Bousculer les “process” et les habitudes, c’est comme essayer de retirer une carte d’un château de carte… pas simple ! Il faut donc engager un processus du changement qui va demander des efforts et de l’argent.

Dans une organisation Opale, vu comme un organisme vivant, l’aptitude au changement est intrinsèque car elle s’adapte, en permanence, à son environnement et aux contextes. Comme le ressenti de la nécessité du changement est vécu par un ou des collaborateurs qui partagent leur ressentis avec d’autres, qui décident ensemble d’avancer, le changement est accepté de manière naturelle.

PARTIE III

“Et si vous vous lanciez ?”

Vous pressentez que cela correspondrait à votre organisation ? Alors passons en revue les conditions, le rôle de la direction, les premières étapes et la méthodologie gagnante.

3.1) Les conditions nécessaires

Elles sont au nombre de 2 :

  • Le dirigeant doit avoir une vision Opale du monde, et si ses proches collaborateurs l’ont aussi, c’est un plus !
  • Les actionnaires doivent adhérer à la vison Opale du monde car si des turbulences surviennent, ces derniers doivent combattre le réflexe qui consiste à revenir aux méthodes Oranges… tuant ce qui rend l’organisation “vivante” (note : l’auteur donne, à ce titre, l’exemple des sociétés AES (production d’électricité) et BSO/Origin (conseil en informatique) que les actionnaires ont “Ré-Orangisé”).

3.2) Les premières étapes ou Comment éviter de se planter ?

Partir de rien, envie de créer une entreprise/organisation ? Alors demandez-vous ce qui a fait le plus écho en vous dans tout ce qui a précédé : l’autogouvernance, la plénitude, la raison d’être, … ou autre chose ! Et laissez-vous guider par votre ressenti, plutôt que par l’idée que vous vous faite d’une organisation Opale.

3.2.1) L’autogouvernance vous parle, commencez par …

  • supprimer les intitulés de poste et donner à vos collaborateurs des rôles multiples;
  • mettre en place un processus de sollicitation d’avis;
  • mettre en place un mécanisme de résolution des conflits.

3.2.2) La plénitude est primordiale pour vous ! Alors, avec vos collaborateurs, définissez …

  • les règles permettant d’instaurer un espace protecteur;
  • les modalités de réunions inspirantes et bénéfiques;
  • les processus de recrutement et d’intégration.

3.2.3) La raison d’être évolutive fait sens pour vous, alors exercez-vous à …

  • distinguer planification minimale et projection illusoire;
  • renoncer et réorienter votre action en fonction des opportunités;
  • rédiger un business-plan conforme aux attentes des banques … si nécessaire.

Par contre, si votre objectif est de transformer une organisation existante, sachez qu’il n’y a pas de recette miracle… si ce n’est que les deux conditions nécessaires énumérées au §3.1 sont indispensables. Chaque entreprise qui s’y est attelée a suivi un parcours qui lui est propre… à l’image d’un tableau impressionniste, touche par touche ! Car toute entreprise est complexe et il est difficile de prévoir ce qu’un changement entraînera comme effet (positif ou négatif). Il faut donc y aller étape par étape, pour que le déséquilibre provoqué par le changement dans les habitudes soit le moins critique possible jusqu’à ce que l’équilibre revienne au sein de l’organisation.

Une donnée importante conditionnera aussi la rapidité avec laquelle les changements seront mis en œuvre : l’attachement des salariés à leur entreprise. Si ce dernier est fort, les déséquilibres passagers seront vites surmontés, si ce dernier est faible (“le travail n’est qu’un fardeau“), le risque est de les voir abuser de leurs nouveaux droits sans assumer les devoirs qui vont avec. Le plus souvent, la confiance instaurée entre le dirigeant (ou l’équipe dirigeante) et les collaborateurs, préalablement au changement, est le facteur clé de la réussite.

3.2.4) Comment commencer à Opaliser ?

A chacun son style, selon le ressenti des uns et des autres. Les entreprises citées ont testé le changement :

  • sur une seule entité de l’organisation, pour susciter une attente et une demande lorsque cela fonctionnait;
  • sur une entité nouvelle, créée en dehors de l’organisation, pour organiser une transfert progressif des salariés de l’une vers l’autre lorsque la demande est survenue;
  • sur plusieurs petites entités de l’organisation pour leur permettre de tenter des expériences et de proposer la généralisation de celles qui marchaient le mieux;
  • sur toute l’organisation d’un coup, mais étape par étape, nouvelle idée par nouvelle idée, en laissant une équipe de volontaires dynamiques s’approprier la synergie du changement.

Quoi qu’il en soit, rien n’est figé, tout peut être arrêté, modifié, adapté.

Et c’est là que le rôle du dirigeant, dans une organisation à l’autorité distribuée, prend un sens nouveau : il doit être à l’écoute de lui-même et de l’organisation, afin d’aider l’énergie à irradier dans le sens du bien-être collectif. Lorsqu’il détecte un verrou, il doit mettre son “autorité” au service de la transformation en marche.

3.2.5) Quand est-il du contrôle en mode Opale ?

Comme dans tout système naturel, le contrôle est utile et nécessaire. Opale n’est pas synonyme d’anarchie. Le contrôle qui s’y opère relève de la capacité d’autocorrection de l’organisation.

Vouloir tout prévoir est quasi impossible (souvenez-vous d’Appolo 13). Empiler réglementation et procédures de validation n’amène qu’une chose : la mort de toute initiative créatrice face à l’imprévu. Dans Opale, il est préférable de se demander comment détecter un problème (qu’il soit en devenir ou déjà là) et le régler rapidement. Et les mécanismes d’autocorrection rapides sont là pour ça. Ces derniers nécessitent toutefois 3 éléments importants :

  • que tout les collaborateurs soient d’accord sur ce qui est sain pour l’organisation;
  • que l’information sur tout problème détecté circule de manière transparente au sein de l’organisation;
  • que l’avis de tous soit sollicité, à travers un forum, sur les mesures correctrices à mettre en place.

3.3) Le rôle de la Direction

3.3.1) Le dirigeant/fondateur

Dirigeant et autogouvernance ne sont pas antinomiques : comme une organisation Opale consiste à donner pleine autorité à chacun (autorité distribuée), les dirigeants ne peuvent décider, voire imposer, sans passer préalablement par la sollicitation d’avis.

Si la plupart des organisations étudiées par l’auteur ont abandonné les intitulés de poste, c’est parce que chacun, dans l’entreprise, joue plusieurs rôles élémentaires. Et bien, pour le dirigeant, c’est la même chose. Même s’il conserve souvent deux de ses rôles, représenter l’organisation vis-à-vis de l’extérieur et sentir & fixer le cap général à prendre, il doit surtout sanctuariser l’espace Opale et veiller à ce que les pratiques Orange ne reviennent pas, avec les meilleures intentions du monde, s’inviter dans les pratiques managériales de cet espace, notamment lorsqu’il s’agit de surveillance et de contrôle. Ce faisant, et même si ces rôles sont cruciaux, le dirigeant d’une organisation Opale voit sont agenda de vider de “nombreuses contraintes” rendues inutiles par l’autorité partagée. Comme ses collaborateurs, il vit pleinement Opale.

3.3.2) Les cadres

Lorsque le dirigeant n’est pas porteur d’une transformation Opale, les cadres peuvent suggérer et diriger les changements horizontaux qui peuvent améliorer les pratiques Orange, tout en faisant sens avec ce type d’organisation, mais que le dirigeant peut accepter.

Toutefois, le basculement vers l’autogouvernance et la raison d’être évolutive est plus risqué tant le reste de l’organisation peut y être rétif. Mais certaines pratiques, tels la sollicitation d’avis des subordonnés et le mode de recrutement, peuvent apporter un mieux-vivre considérable sans que, vu de l’extérieur, la pyramide n’en soit affectée. Par ailleurs, si le cadre épris d’horizon Opale sait ne pas devoir rester très longtemps dans cette organisation, il doit s’attacher à insuffler le minimum de modifications viables … et acceptable par son successeur. (note : la maxime “avant moi, tous des incompétents ; après moi, tous des incapables” est un trait de caractère que l’on retrouve trop fréquemment dans la hiérarchie de l’univers Orange).

Enfin, si l’univers professionnel devient invivable et que le cadre envisage sérieusement de démissionner, pourquoi ne tenterait-il pas l’expérience de mettre en place les principes Opale les plus nécessaires, avec ses collaborateurs, pour retrouver goût au travail ? Le fait de se faire virer, si cela échoue, ne changerait rien à sa perspective d’avenir dans l’organisation.

EN CONCLUSION

Des préceptes Opale, on peut soit considérer qu’il s’agit d’un sujet d’avant-garde, difficile à mettre en œuvre et qui ne s’applique pas partout (les conservateurs), soit décider que c’est la forme hiérarchique naturelle qui permet à chacun de donner le meilleur de lui-même pour le bien de tous (les réformistes).

Nous sommes conditionnés à vivre en mode Orange. Nous sommes habitués à la complexité. Et nous avons horreur du changement. Nous nous résignons à vivre dans un univers professionnel de type “machine”.

Pourtant, les pratiques Opales semblent plus simples, plus naturelles et pleines de bon sens. Elles ressemblent à un organisme vivant, qui ne demande qu’à vivre et à grandir… il faut juste avoir le courage de faire le premier pas !

Mais c’est dans l’air du temps. Qu’il s’agisse du modèle des “entreprises libérées”, des mouvements “Agile” et “Scrum”, des approches “Sociocracy” et “Holacracy” ou d’autres approches voisines, toutes tendent à remplacer le mode de gouvernance Orange.

Alors nous n’en sommes qu’au début…

Notre avis

Le concept développé dans Reinventing Organizations nous a, comme vous vous en doutez, fortement intéressé. Il correspond tout à fait à nos valeurs et nous n’avons ainsi pas hésité à vous faire partager son approche.

Un point en particulier (parmi tant d’autres) nous a interpelé, de part nos expertises en Intelligence Economique : l’importance de la libération de la circulation de l’information. Bien entendu, nous pensons que la performance (et la stabilité donc durabilité) des entreprises libérées est fortement liée à l’autonomie, le bien-être et en conséquences la motivation et l’attachement à son entreprise… mais nous sommes également convaincus que le fait de rendre accessible l’information à tous les collaborateurs, et de permettre sa libre circulation, aident forcément à la bonne prise de décision, pour soi et son organisation. Cela serait d’ailleurs même à nos yeux une 3e condition nécessaire à la mise en place d’une organisation de type Opale (voir paragraphe 3.1) puisque toutes ces petites “cellules” dans l’entreprise ne pourraient pas travailler ensemble sans avoir développé des moyens de communications efficaces… et même au sein d’une même cellule, si elles ne se partageaient pas l’information. Celle-ci est, comme nous l’avons présenté dans le concept d’Intelligence Personnelle, la nourriture de base de tout fonctionnement menant à l’épanouissement via de bonnes prises de décisions, personnelles sur un premier niveau mais aussi interpersonnelles dans le cadre de ce que nous avons appelé l’Intelligence Professionnelle.

En espérant que vous aurez également apprécié cette présentation et surtout que vous aurez envie de lire le livre qui est évidemment bien plus complet et intéressant que la présentation que nous avons pu en faire ici (nous précisons que nous ne connaissons pas l’auteur ! C’est d’ailleurs un regret car il doit être passionnant d’échanger et travailler avec lui !) et que vous aurez envie de mettre en application les nombreux conseils prodigués.

Une dernière remarque pour finir : nous sommes persuadés que le travail, lorsqu’il est choisi consciemment et en accord avec ses valeurs, puisse justement nous rendre heureux. L’organisation Opale, présentée par Frédéric Laloux permet de vivre cet objectif. C’est d’ailleurs aussi l’une des finalités de l’Intelligence Personnelle que nous détaillerons au fur et à mesure de nos publications.

Bibliographie, sources et autres liens utiles

Retrouvez ci-dessous, dans l’ordre de leur utilisation dans le texte lorsque c’est le cas, différents liens pour approfondir les concepts évoqués ainsi qu’une liste de livres pour en savoir plus sur la notion d’Entreprise Libérée :


Source image à la Une et droits d’auteur : “Reinventing Organizations – version illustrée” par Frédéric Laloux et Etienne Appert / Editions Diateino