L’Intelligence Personnelle comme clé du Leadership – Partie 1 : l’Attention

Dans un précédent billet, nous vous annoncions la publication d’une série de 3 articles basés sur le dossier “Les clés du leadership” du numéro d’Octobre/Novembre 2018 de Harvard Business Review France.

Les 3 axes proposés par la revue pour développer son leadership sont l’attention, l’authenticité et la persuasion.

Premier article donc : l’Attention, par Daniel Goleman.

Comme nous l’indiquions, parmi les aptitudes essentielles au leadership, il convient afin devenir un leader attentif d’ “apprendre à se focaliser sur soi-même, sur autrui et sur le reste du monde” . Ce qui revient à s’engager dans une démarche de management des connaissances (se connaitre) tout en restant en alerte sur ce qui se passe à l’extérieur, c’est à dire faire de la veille, deux piliers de l’Intelligence Personnelle et Professionnelle.

Cartographie synthétique du résumé

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L’auteur

Daniel Goleman (2011). Source wikipedia.fr

Daniel Goleman est initialement chercheur en psychologie, diplômé de Harvard, mais également journaliste et auteur de divers ouvrages de vulgarisation notamment sur l’Intelligence Emotionnelle, concept développé par John Mayer et Peter Salovey mais dont il a largement contribué à la popularisation, via la publication de 2 tomes sur le sujet (regroupés ici en un volume). (Il est prévu que nous les résumions).

Pour en savoir plus sur son parcours, nous vous invitons à lire sa biographie complète sur son site personnel.

 

Note liminaire

Comme pour les autres billets sur ce blog, les textes entre parenthèses et en italique correspondent à nos commentaires afin de bien distinguer les propos de l’auteur de l’article d’origine (qui n’engagent que lui) de nos remarques. Remarques qui permettent d’ajouter de la bibliographie, des exemples liés à nos expériences, de faire des parallèles avec l’Intelligence Personnelle voire parfois de contredire les propos de l’auteur. Pour cette raison, ce résumé pourra peut-être paraitre plus long que l’article d’origine ! Si votre motivation n’est de lire que le résumé le plus neutre possible de l’article, il n’est pas nécessaire de lire nos commentaires. Mais il est recommandé à celles et ceux qui souhaitent mieux comprendre les liens avec l’Intelligence Personnelle de lire ces derniers dans l’ordre de leur arrivée dans le texte.

Introduction

Daniel Goleman nous indique qu’une des compétences primordiales que doit acquérir un bon leader est d’apprendre, comme dit plus haut, à diriger et focaliser son attention (il développe d’ailleurs largement ce sujet dans son livre “Focus“, en français “Attentif, concentré et libre” (en version “poche” ), dont le message principal est que nous n’arrivons plus à nous concentrer dans le déluge continuel d’informations qui nous entourent mais qu’il est possible de nous améliorer en s’entrainant. Cet état est évidemment essentiel pour toutes les personnes qui exercent dans le domaine de la veille, mais pas que). Se focaliser c’est “penser à une chose tout en éliminant ce qui peut nous distraire” . Ceci peut se faire de différentes manières, en empruntant des voies neuronales distinctes qui peuvent agir dans le même sens ou s’opposer.

On distingue alors trois grandes catégories développées ci-dessous : 1) se focaliser sur soi-même, 2) se focaliser sur autrui et 3) se focaliser sur le reste du monde.
Ces 3 aspects doivent être maitrisés de concert car ne pas se focaliser sur soi “nous laisse sans gouvernail“, ne pas se focaliser sur autrui “nous rend incompétent” et ne pas se focaliser sur le reste du monde “nous rend aveugle“.

(Le terme “focaliser” peut très bien dans le cadre de l’Intelligence Personnelle et Professionnelle être remplacé par “veiller”. On retrouve alors respectivement 3 niveaux du premier volet de l’Intelligence Economique : 1) veiller sur soi, c’est à dire surveiller ce qu’il peut se dire sur le web ou ailleurs concernant son entreprise, ses salariés, ses produits, etc. voire sa propre personne (e-réputation); mais également surveiller le niveau de ses connaissances, c’est à dire faire du “knowledge management” afin d’éviter ce qu’on appelle un “knowledge loss”, un “knowledge gap”, voire un “knowledge crash” comme dirait Jean-Louis Ermine, 2) veiller sur ses concurrents, 3) veiller sur l’environnement global, les lois, les normes, les contextes géopolitiques, les nouvelles technologies, etc. bref, faire de la veille stratégique).

Se focaliser sur soi-même

La conscience de soi

La conscience de soi consiste à “écouter sa voix intérieure“. D’un point de vue biologique, cela veut dire se concentrer sur tous les signaux physiologiques internes que nous envoie le corps, comme par exemple se focaliser sur son rythme cardiaque (ce que l’on fait pour se détendre dans certains types de méditations ou relaxations, notamment celles utilisées dans le cadre des thérapies cognitivo-comportementales). Ces signaux sont contrôlés par une zone du cerveau qui s’appelle l’insula. Si on se concentre sur une partie de son corps, par exemple les battements de son cœur, on va amplifier la sensibilité de l’insula à cette même partie. C’est à dire que l’on va augmenter l’activation des neurones permettant de se concentrer sur cette partie du corps et donc la prise de conscience de ces battements (à force de pratique de la méditation, nous arrivons plus facilement à nous concentrer sur ces signaux). L’auteur nous précise que “l’acuité avec laquelle les gens arrivent à sentir leurs battements de cœur est [même] devenue un moyen standard de mesurer leur conscience de soi” .

(Cette écoute consciente des signaux internes est assimilable à la veille que l’on peut réaliser sur les informations de l’entreprise qui circulent en interne mais aussi celles qui fuitent sur le web par exemple ou encore à l’attention que l’on porte sur le niveau de ses connaissances dans le cadre d’une démarche de “knowledge management”.)

Antonio Damasio (voir notamment son excellent livreL’erreur de Descartes si vous vous intéressez aux biais cognitifs et à l’Intelligence Emotionnelle) appelle “marqueurs somatiques” les intuitions. Ces marqueurs sont des messages provenant de l’insula et de l’amygdale qui nous aident à prendre des décisions en nous incitant à choisir rapidement les “meilleures” options, celles qui nous semblent les plus “justes”. Ce qui n’est évidemment pas exempt d’erreurs (voir “Système 1 / Système 2” de Daniel Kahneman). Ainsi pour limiter ces erreurs, il convient d’apprendre à se concentrer sur une grande variété de signaux, et pas uniquement sur notre intuition. Daniel Goleman cite à ce titre des travaux consistant à étudier les comportements de traders, en les croisant avec leurs performances. Les plus performants d’entre eux n’étaient justement pas ceux se fiant uniquement à leur intuition mais plutôt ceux ayant fait une analyse de l’ensemble de leurs émotions, notamment l’anxiété perçue lors de pertes, les incitant à être plus prudents par la suite en maitrisant mieux les risques (sur ce sujet, nous vous recommandons la lecture du livre “Psychologie des grands traders” de Thami Kabbaj, qui ne s’adresse pas uniquement aux traders mais passionnera toutes les personnes qui s’intéressent aux biais cognitifs). L’auteur précise que parce qu’ils ne tenaient pas compte d’un éventail plus large de signaux internes, les traders les moins performants l’étaient car induits en erreur.

(Faire une analyse de l’ensemble de ses émotions est comparable à ce qui est recommandé dans le cadre d’une démarche de veille vis à vis de l’information, qui doit faire la synthèse d’un maximum de signaux et croiser les sources. De manière pratique, faire de la veille est une démarche continue qui s’accompagne de la mise en place de systèmes d’alertes, sortes de prises de conscience de sujets d’intérêt, de focalisation justement sur ces sujets. Or, même s’il est vrai qu’on ne peut pas tout surveiller et qu’il est recommandé de choisir des axes de recherche, il ne faut tout de même pas oublier lorsqu’on veille de continuer à surveiller d’autres sujets plus généraux dans l’environnement de l’entreprise. C’est une des grandes erreurs faite par les entreprises qui font l’acquisition d’un outil de veille et pensent qu’en surveillant uniquement les sources d’intérêt liées à leurs domaines d’activité, parfois même pré-configurées ou achetables avec l’outil, ils font correctement leur travail de veille.)

La conscience de soi nécessite de se concentrer sur le moment présent. Mais “combiner nos expériences dans le temps en une vision cohérente de notre moi authentique” l’est tout autant. (Dans la démarche de knowledge management en entreprise, c’est assimilable à ce qu’on appelle faire de l’alignement stratégique des connaissances. C’est à dire valider que les connaissances que “nous” (la Direction, le top management…) croyons consciemment avoir, ce que nous pensons que nous sommes, correspondent bien aux connaissances que nous possédons vraiment après analyse auprès de ceux qui les mettent en pratique). C’est ce qu’on appelle être “authentique”, être la même personne pour soi-même et autrui (nous verrons en détail ce point dans un prochain billet de ce dossier sur le leadership).

Pour cela, il faut faire attention à ce que les autres pensent de nous (e-réputation) en priorisant les avis de ceux dont on a confiance (priorisation de ses sources). Il est également nécessaire d’arriver à observer notre entourage de manière globale sans être influencé par les éléments extérieurs (rester neutre dans l’analyse) ni chercher à identifier quelque chose de bien précis, ce que Goleman appelle “l’ouverture d’esprit” (dans une pratique de veille, cela revient notamment à faire de la sérendipité. C’est une phase intéressante du processus, à condition qu’elle ne dure pas trop longtemps (!), durant laquelle on se laisse porter par ses lectures et les hyperliens, avec la possibilité d’identifier une information intéressante pour l’entreprise mais qu’on ne cherchait pas à obtenir initialement).

L’auteur précise qu’entrer dans ce mode de captation d’information est une phase difficile pour le leader qui a plutôt l’habitude d’agir “au feeling” en suivant principalement ses intuitions. Se mettre dans cet état d’écoute, tout en restant neutre vis à vis des informations captées, entraine à saisir un maximum de signaux sans se laisser distraire par des détails.

(Cet état de conscience permet d’éviter un biais cognitif important lorsqu’on pratique la veille : la cécité cognitive. Se focaliser sur ce qu’on cherche est bien sûr primordial mais il faut aussi prendre de la hauteur et observer “la scène” dans sa globalité, pour identifier les détails… tout en évitant de se focaliser à nouveau sur ces détails, ce qui reviendrait à ne plus prendre de recul ! C’est pour cela que nous ne voyons pas “l’ours” qui fait du “moonwalk” si nous nous concentrons sur le ballon… mais aussi que nous ne voyons plus le ballon si nous nous concentrons sur l’ours ! Il est nécessaire de prendre de la hauteur, de tout observer à la fois sans réagir pour enfin pouvoir faire une analyse correcte de la situation à tête reposée… Ce n’est pas facile, nous vous l’accordons !).

La maitrise de soi

Arriver à se concentrer sur ce qu’on veut sans se laisser distraire (ce qui revient à faire le contraire de ce qui est indiqué précédemment, la sérendipité, mais qui est tout aussi essentiel) est ce qu’on appelle scientifiquement “le contrôle cognitif” mais aussi plus couramment “la volonté” ! Les voies neuronales activées pour pratiquer cette volonté sont les mêmes que celles permettant de contrôler nos émotions. Cette capacité est ainsi très importante pour la gestion de crise, afin de rester calme et de ne pas laisser les émotions décider à notre place. (Elle aide également à l’apprentissage afin d’accepter et de se remettre plus facilement de ses erreurs).

Daniel Goleman nous rappelle la très connue expérience du “marshmallow” du psychologue Walter Mischel réalisée sur plus de 1000 enfants dans le début des années 70 et consistant à proposer le choix de manger immédiatement un marshmallow ou de pouvoir en manger 2 à condition d’attendre 15 min sans toucher le premier, qui reste durant tout ce temps sous les yeux de l’enfant. Dans cette expérience de mesure de la volonté, 1/3 des enfants ne résistait pas et mangeait de suite le bonbon, 1/3 craquait avant la fin des 15 min et le dernier tiers arrivait à attendre les 15 min pour en manger 2.  Arrivés à la trentaine, une étude statistique a pu montrer que ceux qui étaient en meilleure santé, avaient le mieux réussi financièrement et respectaient le plus les lois, étaient ceux qui avaient pu se contrôler durant le test. Il a ainsi été montré que le niveau de maitrise de soi est au final plus révélateur d’une future réussite financière que le Quotient Intellectuel, la classe sociale ou encore la situation familiale.

La maitrise de soi dans le cadre d’une résistance à un objet de désir fait intervenir 3 mécanismes complémentaires :

  1. La capacité à libérer volontairement son attention de l’objet désiré
  2. La capacité à résister à la distraction afin de ne pas revenir vers cet objet, une fois qu’on a réussi à en libérer son attention
  3. La capacité à se concentrer sur l’objectif futur et imaginer le résultat positif de son attente (ici, manger 2 fois plus de bonbon !)

(Ces 3 mécanismes sont essentiels dans toutes les tâches que nous réalisons au quotidien, d’un point de vue professionnel ou personnel. Dans le cadre de la veille notamment, ils donnent un enseignement très intéressant.  Par exemple, la capacité à libérer son attention de l’objet désiré (l’information recherchée) nous aide à prendre du recul et à envisager la situation globalement afin de capter d’autres signaux tout aussi importants (évitement de la cécité cognitive). Cela nous aide également à lutter contre le biais cognitif de confirmation d’hypothèse où une information qui nous semble de prime abord évidente nous pousse à effectuer des recherches pour valoriser cette information au détriment d’autres, et nous oriente sur une mauvaise voie.)

La bonne nouvelle est que ces capacités peuvent s’appendre et se travailler, tout comme un muscle. Pour cela, l’auteur nous recommande de nous exercer à revenir sur un point de focalisation dès que l’on observe que notre esprit vagabonde (ce peut être aussi très utile pour lutter contre la procrastination, en prenant le temps de faire les choses qui doivent être faites de suite, au lieu de trouver une excuse en s’engageant dans une autre tache plus simple et immédiatement gratifiante. Pour cela, la méthode GTD de David Allen peut également être utile). Ce mécanisme est la base de toutes méditations (ainsi pratiquer la méditation régulièrement va aider à “muscler” notre capacité à nous maitriser et concentrer). Un point de focalisation peut par exemple être la concentration sur ses battements cardiaques, comme évoqué précédemment, ou encore sa respiration.

Se focaliser sur autrui

Daniel Goleman nous rappelle que le mot “attention” vient du latin “attentio“, c’est à dire “tendre l’esprit vers”, ce qui définit très bien l’action de se focaliser vers autrui. Se focaliser sur autrui nécessite de l’empathie et une capacité à nouer des liens avec les autres, ce qui représente avec la conscience de soi traitée ci-dessus les 3 grands piliers de l’Intelligence Emotionnelle.

Les leaders naturels, ceux qu’on a naturellement envie de suivre, qui trouvent toujours un terrain d’entente et dont les opinions nous paraissent les plus pertinentes, sont ceux qui expriment cette capacité d’attention à autrui.

(En matière de veille, se focaliser sur autrui revient à porter notamment son attention sur ses concurrents. La définition qui est donnée ici par Goleman est d’autant plus intéressante en l’extrapolant aux entreprises qu’elle implique, via l’empathie et la capacité à nouer des liens avec les autres, à s’engager dans une démarche de coopétition, une attitude de base de toute démarche d’Intelligence Professionnelle et que l’on retrouve notamment dans les entreprises dites “Opales” de Frédéric Laloux – voir son livre “Reinventing Organizations: Vers des communautés de travail inspirées).

La triade de l’empathie

Il existe 3 types d’empathie :

  • Cognitive : “capacité à comprendre le point de vue d’autrui
  • Emotionnelle : “capacité à ressentir ce que l’autre ressent
  • Le souci empathique : “capacité à sentir ce que l’autre attend de vous

L’empathie cognitive va aider le leader, en comprenant l’autre, à donner des instructions qui font sens chez ceux qui doivent les appliquer. Cette capacité se retrouve naturellement chez les personnes curieuses (une qualité nécessaire à tous ceux qui pratiquent la veille).

L’empathie émotionnelle est une capacité importante pour la gestion de groupes, en nous faisant ressentir rapidement ce que ressentent les autres “sans penser profondément” , un héritage biologique lié à d’anciennes parties du cerveau situées sous le cortex (amygdale, hypothalamus…). Elle nécessite en amont de bien comprendre ses propres sentiments afin mieux saisir ceux des autres (ainsi, tout bon “Knowledge Manager” devrait au préalable travailler sur soi et la compréhension de ses émotions).

Daniel Goleman nous indique que l’empathie émotionnelle repose sur 2 types d’attention : 1) la concentration sur “les échos que suscitent [chez nous] les sentiments de quelqu’un d’autre” et 2) l’observation des signes extérieurs des émotions d’autrui comme les attitudes et expressions (visage, voix…).

Cette empathie peut s’apprendre notamment en se préparant au préalable comme lors d’une méditation, en exerçant par exemple une respiration diaphragmatique profonde, pour se concentrer au mieux sur ce que l’on va ressentir de l’autre. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude de Helen Riess, Directrice du programme “Empathy and Relational Science” du Massachusetts General Hospital de Boston (voir son livre “The Empathy Effect” ). Cette dernière affirme par ailleurs qu’en se montrant attentionné, “en regardant les gens dans les yeux et en étant à l’écoute de leurs expressions, même si vous n’en avez pas particulièrement envie, vous pouvez commencer à vous sentir plus concerné(une sorte de focalisation finalement !)

Le soucis empathique permet comme on l’a dit de ressentir ce que les autres attendent de nous. C’est ce qu’on espère par exemple de son médecin à son attention (ou des personnes de manière générale à qui on confie ses problèmes). Il s’agit en fait d’un double sentiment : on vit la détresse d’autrui comme s’il s’agissait de la notre mais “en décidant si nous répondrons aux besoins de cette personne, nous mesurons délibérément combien son bien-être compte pour nous“.

Tout cela doit en fait répondre à un certain équilibre entre l’intuition et la réflexion. En effet, (s’il semble évident que tout le monde doit faire preuve de compassion) les personnes trop compatissantes peuvent finir par souffrir elles-mêmes des problèmes des autres, ce qui peut avoir des conséquences graves dans les métiers d’aide à la personne ou dans le domaine médical par exemple (surtout s’il n’y a pas de retours, ce qui à force de trop donner sans signes de reconnaissance peut aboutir à un burn-out. Voir notamment à ce sujet le livre “Burn-out” de Christina Maslach). Les médecins par exemple apprennent durant leurs études à bloquer les réactions automatiques qui font que nous pouvons ressentir la douleur des autres afin de ne pas être submergés par leurs émotions et de rester concentrés pour prendre les décisions et faire les gestes adéquats en cas d’urgence. (Cette capacité est très importante dans les situations de gestion de crise). Cela ne veut pas dire ne pas comprendre l’autre dans sa douleur mais permet de rester dans de bonnes dispositions pour agir.

Etablir des relations

La sensibilité sociale, qui permet de nouer des relations, est liée à l’empathie cognitive vu précédemment (“je comprends l’autre” ). Ceux qui en manquent se font vite repérer, quelles que soient leurs compétences techniques : ils intimident certaines personnes, en rejettent d’autres, font du favoritisme, etc. et ne s’en rendent pas compte même quand on leur signale car n’ont pas vraiment conscience de leurs défauts.

Au delà de l’importance de l’empathie cognitive pour établir des relations avec les autres et du rôle des relations pour réussir, le succès d’un point de vue professionnel de ceux qui en font le plus preuve est aussi lié à leur faculté à mieux comprendre les nouvelles règles dans de nouveaux contextes comme par exemple la réalisation de missions à l’étranger, dans des cultures méconnues… Spontanément agir comme il faut via son attention au contexte social aide à mettre à l’aise les autres dans n’importe quelle situation, ce qu’on aurait auparavant appelé “les bonnes manières” , comme le précise l’auteur, et ne peut ainsi qu’aider à prendre le leadership. (Ce point n’est pas détaillé sous cette forme là dans l’article mais le fait de comprendre l’autre et/ou de se mettre à sa place est utile pour faire preuve d’influence).

D’un point de vue neurologique et d’après Richard Davidson, chercheur à l’Université du Wisconsin (voir son dernier livre : “Les profils émotionnels” ), l’hippocampe serait la partie du cerveau, en connexion avec le cortex préfrontal, majoritairement responsable de notre capacité d’attention aux situations sociales. C’est par cette voie que nous agissons et nous comportons intuitivement de manière différente que l’on se trouve devant ses amis proches ou son patron ! C’est ce même mécanisme qui s’active lorsque nous cartographions un réseau social au sein d’un groupe, afin d’en comprendre les relations (qui est lié à qui) et leur fonctionnement (qui a le plus de poids et a le plus d’influence sur qui). Ainsi, les personnes chez qui ces voies neuronales sont les plus actives arrivent plus facilement à identifier les leaders d’opinion et donc augmentent leur chance de pouvoir influencer le groupe tout entier.

Daniel Goleman nous signale des recherches (du psychologue Dacher Keltner de l’Université de Californie) qui montrent que plus les personnes gagnent en pouvoir dans un groupe (une entreprise, etc.), plus leur capacité à percevoir et à maintenir les liens personnels va diminuer. Ainsi, les personnes placées haut dans la hiérarchie ont tendance à moins fixer leur attention sur les personnes en bas de l’échelle et, toujours par manque d’attention aux autres, sont celles qui vont plus souvent couper la parole et monopoliser la conversation (“toute ressemblance avec des personnes…” ). (Ces personnes se privent donc de la possibilité de mieux cartographier dans leur entreprise l’ensemble des “vrais” leaders d’opinion, pas toujours les plus hauts d’un point de vue hiérarchique, et donc d’exercer l’influence nécessaire à la réalisation d’un “bon” leadership).
C’est par cette carence d’attention auprès des personnes moins bien placées dans l’entreprise qu’il est possible d’obtenir une vraie cartographie des liens hiérarchiques : il “suffit” d’après l’auteur de mesurer le temps de réponse à un e-mail ! Plus une personne met du temps à répondre, plus celle-ci a un pouvoir relatif sur son correspondant.

(Nous supposons que si vous voulez améliorer votre pouvoir relatif dans l’entreprise, il convient de ne pas réagir immédiatement aux e-mails que l’on vous envoie ! Attention cependant au retour de bâton car votre supérieur attend peut-être justement une certaine réactivité de votre part !)

C’est ce qu’ont fait des chercheur de l’Université de Columbia en développant un algorithme de “détection automatisée de la hiérarchie sociale”. Ce dernier a permis de confirmer que les personnes occupant une position inférieure dans l’entreprise répondent en quelques minutes aux e-mails… alors que les “patrons” peuvent laisser plusieurs heures avant de le faire. (Nous n’avons pas consulté l’étude en question citée par Daniel Goleman mais nous supposons que les facteurs disponibilité/occupation/charge de travail ont été pris en compte. Ceci dit, ce n’est pas parce qu’on est “en bas de l’échelle” qu’on a plus (+) de temps pour répondre que son patron… parfois même au contraire !). Cet algorithme est tellement pertinent qu’il serait utilisé par les services de renseignement pour identifier dans les groupes terroristes les chaines d’influence et donc les leaders !

Daniel Goleman termine cette partie en nous indiquant que les cadres supérieurs devraient, afin d’exploiter toutes les idées potentielles et les talents de l’entreprise, améliorer leur capacité d’attention auprès de toutes les personnes, en particulier celles au plus bas de l’échelle auxquelles ils ne s’intéressent pas, par “tendance naturelle”.

(Cette remarque est très importante à la fois pour la veille, afin de faire remonter un maximum d’information de la part de tous les capteurs humains de l’entreprise, mais aussi bien évidemment en matière de management des connaissances. Notons que c’est aussi peut-être pour cela que le mode de fonctionnement des entreprises dites “libérées” (voir livre déjà cité de Frédéric Laloux “Reinventing Organizations: Vers des communautés de travail inspirées” ), en écrasant la pyramide hiérarchique et en incitant à la circulation d’information dans toutes les couches sociales, en fait un modèle si performant. Note de Olivier Pommeret : j’avais proposé ce sujet de recherche à un collègue dans une Business School il y a quelques années, persuadé suite à de très nombreuses lectures et retours d’expériences que la performance des entreprises libérées était certes dû à un management plus naturel, responsabilisant donc motivant mais aussi dans une grande partie à la libération de la circulation de l’information de l’entreprise. Ce qui aurait permis de montrer “in vivo” par l’étude de cas l’importance de ce mécanisme et donc de la mise en place d’une démarche d’Intelligence Economique dans laquelle pourrait être mieux dosé le rapport circulation d’information/sécurité. Personnellement engagé actuellement sur d’autres recherches, je n’en reste pas moins intéressé par le sujet donc si un chercheur nous lit et souhaite travailler sur la question, ne pas hésiter à me solliciter !)

Se focaliser sur le reste du monde

Se focaliser sur l’extérieur va de pair avec savoir écouter. Mais savoir écouter c’est aussi poser les bonnes questions (la base de toute démarche de veille, notamment via la formule Quintilienne). Ces 2 caractéristiques sont la marque des plus grands leaders. Ces derniers arrivent à prévoir les conséquences à long termes de leurs décisions et ont une propension à faire des liens entre différentes informations a priori sans relations directes. (Une capacité essentielle de tout veilleur).

Les leaders qui se focalisent sur le reste du monde font preuve d’une grande ouverture d’esprit (encore une fois, une caractéristique essentielle du processus de veille qui doit certes, comme vu plus haut, se focaliser sur certains axes d’intérêt mais aussi prendre du recul en surveillant un périmètre plus macroscopique).

Se focaliser sur la stratégie

La stratégie consiste à exploiter son avantage actuel et à en identifier de nouveaux. Ces 2 étapes n’utilisent pas les mêmes circuits neuronaux. Exploiter son avantage actuel implique de se concentrer sur les tâches à accomplir (focalisation) alors qu’identifier de nouveaux avantages exige à l’inverse d’avoir une certaine ouverture (utile également à la veille, comme vu précédemment). Le premier mécanisme, l’exploitation de l’existant, va activer dans le cerveau les mêmes circuits que ceux liés à l’anticipation et surtout à la récompense. C’est ce dernier point qui fait qu’il nous est plus “facile”, car lié aux mécanismes de récompense, d’exploiter ce que nous avons déjà au lieu d’essayer d’explorer d’autres pistes, d’innover. C’est pour cela qu’il est nécessaire de fournir un effort cognitif volontaire afin de sortir de ses habitudes et de suivre de nouveaux chemins (encore une fois, la compréhension de ce mécanisme est intéressante dans la cadre d’une pratique de veille; il nous est difficile de volontairement surveiller des sources qui ne nous donnent pas d’information intéressantes rapidement, ce qu’il faut pourtant faire notamment pour identifier des signaux faibles, car cette opération n’est pas naturellement associée aux mécanismes de récompense).

Cet effort cognitif est d’autant plus difficile que nous manquons de sommeil, sommes sous l’emprise de l’alcool, du stress ou encore en situation de surcharge mentale. Ainsi, pour innover (et identifier des signaux faibles) il est nécessaire de pouvoir se focaliser sur l’extérieur et pour cela nous avons besoin d’une part d’un temps ininterrompu, sans distraction, pour réfléchir et d’autre part de renouveler sans cesse notre attention.

(Si certains auraient pu penser que l’alcool aide à la création notamment dans les métiers artistiques, et nous ne rentrerons pas dans ce débat, les autres points semblent indiscutables : la fatigue, le stress et la surcharge mentale sont de vrais poisons pour l’innovation mais aussi la pratique de la veille. Le premier point peut être levé en se reposant et dormant. Pour les 2 autres, il nous semble utile de pratiquer la médiation, notamment en pleine conscience… mais pas que ! Cette remarque est très importante pour ces métiers de la veille où justement on demande beaucoup d’engagement, de disponibilité et de réactivité mais dans lesquels il faudrait finalement, pour être plus efficace, penser à ralentir : “moins plus moins égal plus (- + – = +)” comme diraient certains !)

Les sources de l’innovation

Les modèles classiques de la créativité nous indiquent l’importance de l’attention dans le processus d’innovation. Pour innover, notre esprit se concentre tout d’abord pour rassembler une grande variété d’informations pertinentes (c’est ce qu’on fait en entreprise via le Knowledge Management, en piochant dans ses informations et connaissances existantes, puis avec la veille, qui va regarder ce qu’il se passe à l’extérieur). Ensuite nous alternons d’un état de concentration intense durant lequel nous essayons consciemment de résoudre le problème (focalisation) à un autre état durant lequel notre esprit vagabonde librement (et qui demandera un certain effort cognitif pour se reconcentrer). Mais ce deuxième état n’est pas de la distraction. Au contraire, notre esprit ayant “imprimé” la nécessité de résoudre le problème, il continue “inconsciemment” à essayer de trouver une solution lors de nos états de relâchement (similaires à ceux atteints par la méditation), durant lesquels nous mettons finalement à disposition “de la capacité de calcul”. C’est pour cela, indique l’auteur, que nous avons souvent de bonnes idées et trouvons des solutions aux problèmes sous notre douche ou lors d’une balade en forêt (voir à ce sujet “Les 12 lois du cerveau” de John Medina, qu’il est prévu que nous le résumions) !

(C’est finalement une des idées soutenues par Napoleon Hill dans son best-seller “Réfléchissez et devenez riche” (qu’il est prévu que nous résumions) : pour obtenir ce que l’on veut, il faut graver dans son inconscient sa requête en l’imaginant comme si notre souhait état déjà réalisé, afin de lui donner plus de présence, en le formalisant par écrit et en se le répétant de nombreuses fois dans la journée. Napoleon Hill nous indique alors que la solution finira par arriver, que nous mettrons en place naturellement ce qu’il faut pour ce que cela se produise, notamment nos attitudes envers notre environnement. Dans son ouvrage, qui date de 1937, les mécanismes cognitifs pouvant être à l’origine de ce qu’il avait observé et décliné en méthode n’étaient pas encore connus et donnent à sa lecture l’impression d’une intervention “magique”. Tout cela s’explique maintenant bien mieux de manière scientifique et permet d’avoir un autre regard sur les travaux de Hill !)

Le don douteux de la science systémique

Certaines personnes ont cette capacité de deviner relativement précisément le nombre de points présents sur une feuille sans même les compter. Elles utilisent alors un “don” qui leur permet de faire une analyse globale de la situation très rapidement, ce qui en font des personnes douées pour la création de logiciels, d’analyse de chaines de productions, de systèmes, etc. c’est à dire de systèmes complexes. Cependant, il a été observé par le professeur Simon Baron-Cohen de l’Université de Cambridge, que pour une part significative de ces personnes, cette forte pensée systémique s’accompagnait d’un déficit d’empathie. Comme si finalement cette vue macroscopique était incompatible avec une analyse fine de ses sous-ensembles, à un niveau de compréhension des situations sociales. Ces personnes sont, de fait, des atouts dans l’organisation mais ne peuvent pas nécessairement avoir les qualités d’un bon leader, telles que présentées jusqu’à maintenant (triade de l’empathie, etc.) et faisant ainsi preuve d’une certaine intelligence émotionnelle.

Intégrer tous les éléments

Les leaders attentifs sont ceux qui ont la capacité de maîtriser pleinement toute la gamme de leur attention : “ils sont en contact avec leurs sentiments intérieurs, ils savent contrôler leurs impulsions, ils sont conscients de la façon dont les autres les voient, ils comprennent ce que les autres attendent d’eux, ils possèdent la faculté de faire fi des distractions tout en permettant à leur esprit de vagabonder largement, sans idées préconçues” .

Daniel Goleman nous indique, si nécessaire, que tout cela est bien difficile et que si c’était le contraire, toutes les personnes seraient de bons leaders ! Mais il est possible de s’améliorer, à force de concentration/focalisation (la pratique de la méditation pouvant aider). Cette aptitude de concentration (et donc d’entrainement des circuits neuronaux qui nous y aident) est mise à mal par le contexte dans lequel nous vivons aujourd’hui : e-mails nécessitant de la réactivité et que l’on trie en ne lisant que les titres, lire à toute vitesse les notes de service, (réagir et répondre aux notifications de nos smartphones,… Sur ce point nous vous recommandons la lecture livre de KorbenLibérez-vous de votre smartphone et reprenez votre vie en main), etc.

Daniel Goleman cite pour conclure le prix Nobel Herbert Simon :

“[L’information] consomme l’attention de ses destinataires. Par conséquent, l’abondance d’informations entraine une pauvreté de l’attention

Cette citation de 1971 prend aujourd’hui encore plus de sens. En apprenant à diriger notre attention consciemment là où on en a vraiment besoin, nous ne pouvons que reprendre la maîtrise de nos objectifs. (La grande question étant du coup à notre avis de savoir consciemment ce dont nous avons vraiment besoin ? Mais c’est là un des grands objectifs de l’Intelligence Personnelle et nous espérons qu’au fil de vos lectures sur ce blog et des lectures conseillées, vous trouverez des outils pour y répondre.)

Conclusion

(L’Attention est, comme on l’a vu, une compétence essentielle de nos jours pour prendre le leadership… mais pas seulement. Apprendre à focaliser notre attention sur ce qui est le plus important pour nous, qu’il s’agisse de notre vie personnelle ou professionnelle, est une aptitude très importante quels que soient le domaine et nos objectifs. Dans nos commentaires de ce résumé, nous avons fait de nombreux parallèles avec la pratique de la veille en entreprise, tant la concentration nous parait primordiale pour l’exercer… mais ceci n’est pas un scoop ! Par contre, les dernières découvertes en neurosciences nous indiquent qu’il est aussi important de prendre de la hauteur pour capter par exemple les signaux faibles ou faire une meilleure analyse, en limitant l’impact des biais cognitifs. Cette prise de hauteur ne consiste pas qu’à observer les choses de manière macroscopique mais également à ralentir pour prendre des décisions plus justes. Il est ainsi plus prudent, dans ces métiers où il est demandé une grande réactivité, de paradoxalement savoir “lever le pied” de temps en temps, à condition d’avoir la capacité de nous reconcentrer par la suite. La force nécessaire pour ce retour à la focalisation étant justement donné par ces moments de pause. Chacun pourra appliquer alors la méthode qui lui convient le mieux, faire une petite marche en dehors de son bureau, quelques étirements, lire un livre pendant quelques minutes (ou nos billets)… De notre côté, nous conseillons de pratiquer la méditation notamment en se concentrant sur des parties de son corps ou des fonctions physiologiques (battements cardiaques, respiration, chaleur, etc.) comme indiqué par Goleman.

Dans tous les cas, ce parallèle avec la veille en entreprise peut être fait à son tour avec la pratique d’une veille personnelle, afin de mieux choisir les informations qui nous intéressent et que l’on doit surveiller, pour l’atteinte de ses propres objectifs.)

Bibliographie, sources et autres liens utiles


Source image “à la une” : numéro d’Octobre/Novembre 2018 de Harvard Business Review France